vendredi 8 mars 2013



Qu'on se le dise : Dehbia est revenue !

Cela faisait des semaines, des mois, que nous errions du côté du Sentier, comme des âmes en peine, en quête d'une présence, d'une ombre, orphelins, non pas d'une mère ou d'un père, mais d'une égérie, d'une figure. La Grappe d'Orgueil, rue  Montorgueil la piétonnière, n'avait plus le même attrait, le même magnétisme qui nous attirait irrésistiblement vers ce bistrot, sans prétentions autres que culturelles. La "Grappe d'Orgueil", on y allait naturellement, et on s'y donnait rendez-vous, aussi naturellement, ceux qui habitaient à Paris, ou ceux qui venaient d'Alger ou d'ailleurs.
Durant les folles années de jeunesse, on se retrouvait "Chez Saada", qu'on suivait, comme son ombre, de quartier en quartier, de bistrot en troquet, où les amitiés, les amours aussi, se nouaient et se dénouaient. C'est d'ailleurs, un Saada en retraite, qui m'a "livré" un jour chez Dehbia, comme un legs à transmettre à une héritière. C'est ainsi que ça se passait, puisque les anciens de "Chez Saada", s'étaient tous fait muter "Chez Dehbia". Ça va, le vieux, on a assez parlé de toi ! Je parlais donc de prétentions culturelles, parce que "Chez Dehbia", c'est l'enseigne qui trottait dans nos têtes, on pouvait rencontrer des auteurs de livres, des romanciers, des artistes et des cinéastes.
Les derniers à en être, avant la clôture de la saison, et l'apparition du mot fin en bas du générique, ont été, me semble-t-il, nos amis Rachid Boudjedra et Boudjema Karèche. Mais oui, Merzak, c'est bon d'avoir des amis, et même de se faire avoir par eux, c'est un peu le sel de la vie. Tu me suis ? Avant que je n'oublie, il me semble t'avoir aperçu d'ailleurs, lors de la très belle, et très fastueuse soirée, avec "Rimitti", celle qui a fait d'une injonction de bistrot un titre de gloire. Elle m'avait invité à faire quelques pas de danse avec, elle, comme l'a fait jadis Dorothy Mazuka, au "Play-Boy" d'Hararé, juste avant que les Mugabé et consorts n'en fassent un désert.
Je sais, je sais, mon succès auprès de ces dames t'a toujours fait de l'ombre, pour ne pas dire exacerbé, mais ça te passera, comme aux autres, Merzak. Mais revenons à Dehbia, si tu le veux bien, et même si tu n'étais pas son préféré. Non ! Dehbia ne nous a pas quittés brusquement, comme le ferait une mère indigne, ou une maîtresse papillonnante et volage. Il n'y avait rien de tout ça chez notre Dehbia. Cela faisait même longtemps qu'elle disait vouloir se retirer, changer d'air, voyager, visiter des continents lointains, autrement qu'en regardant, et en accueillant les touristes du quartier. Mais elle le répétait si souvent qu'on avait fini par ne plus y croire, et à finir une conversation, au téléphone, avec la sempiternelle phrase : "Alors, on se voit chez Dehbia?".  
Eh bien, non, on ne se verra plus "Chez Dehbia", mais on aura quand même l'impression d'y être, puisqu'elle sera avec nous, Dehbia, ou nous serons avec elle ! Quand même, il est resté un peu de mélancolie dans l'air, pas celle qui étouffait Léo Ferré, mais une mélancolie douce-amère. Même Aïssa qui habite juste à côté, et qui craignait chaque fois qu'il passait dans la rue Montorgueil, de tomber dans une embuscade éthylique, manifestait son dépit à sa manière. Chaque fois qu'il rentrait à "La Grappe d'Orgueil", il criait, à la cantonade :" Dehbia n'est pas là?". Ce qui ne devait pas faire très plaisir aux nouveaux propriétaires.
Bon ! Séchez vos larmes et arrêtez vos lamentations ! Dehbia est revenue, hors saison et bien après le Père Noël, mais elle est revenue, cédant aux appels, et aux injonctions qu'elle recevait par S.M.S. Des appels où les mots, lâcheuse, traîtresse, abandon d'orphelins, etc., revenaient inexorablement. Alors, Dehbia, notre Dehbia, a entendu nos prières : elle nous est revenue, encore mieux que Mathilde, en promettant de nous retrouver plus souvent. Mardi dernier, 5 mars, elle a invité tous ses amis à une soirée "Raï", dans une des nouvelles rues branchées du 11ème arrondissement.
 Là, où des artistes comme Yahiatène, Dahmane El-Harrachi, ou Salah Saadaoui, chantaient jadis l'errance et l'exil. Le nom du lieu, et du chanteur importent peu, puisque nous étions pour un soir "Chez Dehbia", mais je vous les donne quand même : il s'agit du "Chat noir" (inutile de ricaner les Algérois) pour le café-concert, et le chanteur est "Cheb Hocine". En tout cas, lui, il a le droit au titre de "Cheb", puisqu'il porte encore beau, et qu'il n'a pas besoin de travaux de réhabilitation et de ravalement de façade, comme un certain ex "Cheb", ami, "à la vie à la mort d'jis!", du vieil Enrico. Enfin, "Cinq dans l'œil des envieux !", et tant pis pour les absents, et les misanthropes boudeurs, il y avait une ambiance formidable, avec du monde, et du beau monde. Nous avons dansé pendant plus de deux heures, Dehbia en meneuse de revue, et nous nous sommes réveillés le lendemain avec des courbatures, mais le cœur chaud. "Cinq dans l'œil du diablotin, qui sommeille à l'intérieur des gandouras!".

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