mercredi 26 février 2014

Des faits et des statistiques sans hidjabs



Chaque fois qu'ils ont ouvert leur boîte de Pandore, et lâché leurs mauvais génies sur la "planète Islam", les Saoudiens ont fini par s'en mordre les doigts, par un juste retour de boomerang. Comme ils n'ont rien appris de l'Histoire, science qui leur est d'ailleurs parfaitement inconnue, les wahhabites se sont attaqués cette fois-ci à la Syrie, sous prétexte de contenir l'expansion chiite. Ils ont alors décidé de se lancer dans le "djihad" contre le régime alaouite de Damas, considéré comme le danger suprême, au moins égal à l'invasion soviétique athée en Afghanistan.
Sous l'étendard de la démocratie, brevetée par les alliés américains, et leurs relations d'affaires européennes, ils ont entrepris de libérer la Syrie d'une "emprise" chiite incertaine pour l'intégrer dans leur propre sillage. Mais comme disent les Bédouins qui n'ont jamais vu la mer, les vents ne soufflent pas toujours dans la direction escomptée par le marin. Cet engagement de l'Arabie saoudite en Syrie aurait pour seul effet sensible de renforcer les ultra-wahhabites, et de susciter des émules à Ben Laden, au sein de la jeunesse du royaume. Sans compter les récits de batailles d'un autre temps, et les appels à aller combattre en Syrie qui se répercutent de site en site, et pourraient mettre en danger la stabilité de la monarchie.
Certes, les Saoudiens peuvent encore compter sur le Qatar, et son imam qui a repris du service, l'inusable Karadhaoui, harangueur attitré des "djihadistes", et pourfendeur intarissable du régime de Béchar Al-Assad. Mais s'il est plus facile d'amadouer le prêcheur avec des chèques à sept chiffres, il en va autrement avec les jeunes ouailles saoudiennes, embarquées dans la machine à remonter le temps. Du coup, et pour décourager ces élans vers le nouvel Afghanistan si proche, le roi a publié la semaine dernière un décret punissant de trois à vingt ans de prison les Saoudiens qui iraient combattre à l'étranger. 
Le ministre de l'Intérieur, Mohamed Ben Nayef, l'un des hommes forts de la famille régnante a également été chargé d'élaborer des mesures pour protéger la monarchie contre "l'extrémisme religieux". Dans la foulée, et selon le quotidien londonien "Al-Quds", Ryadh et Washington auraient proposé au Hezbollah libanais de retirer ses brigades de Syrie en échange du départ des soi-disant "djihadistes". Or les combattants islamistes sont le fer de lance de l'insurrection contre Damas, depuis qu'ils ont imposé leur supériorité aux autres factions, dites modérées, comme l'Armée syrienne libre. Ce qui ne veut pas dire que cette dernière est à l'abri de cette affection religieuse qui contamine l'ensemble du monde arabe.

Le poète syrien Adonis qui n'a pas l'habitude de mâcher ses mots s'est forgé une opinion là-dessus, et il estime que le remède proposé par les insurgés serait pire que le mal, le régime de Damas en l'occurrence. Il va même jusqu'à affirmer que la principale force d'opposition syrienne, la "Coalition du peuple syrien", présente dans toutes les couches de la société, n'a aucune influence en sein de l'insurrection. Adonis se dit partisan d'une vraie révolution qui apporterait des solutions à un problème, au lieu de lui substituer un nouveau problème.
" Je suis pour une société en perpétuel changement et vitalité. Par conviction, je suis partisan de la révolution, mais la révolution doit avoir une morale, des valeurs et des perspectives humaines. La révolution doit toujours apporter des choses qui soient meilleures que celles contre lesquelles elle a été menée. Or, la première chose qui m'a frappé dans ce cas précis, c'est que cette insurrection a fait plus de mal que le régime, même si ce régime méritait qu'on se révolte contre lui". Adonis fait clairement référence aux exactions, et aux persécutions religieuses menées par des milices islamistes sous prétexte d'appliquer la charia.
Comme pour justifier ces appréhensions, les groupes islamistes qui contrôlent la région de Deir- Ezzor, au nord-est de Damas, ont entrepris d'y imposer le premier canon de leur religion, le hidjab. Ce morceau de tissus recouvrant les cheveux, proclamés parties honteuses, et imposé à l'Islam, et aux musulmans par des théologiens misogynes. Le voile, principal indicateur de la soumission, et de la docilité d'une société, aux yeux des propagandistes d'une vision archaïque de l'Islam, présentée abusivement comme un éveil. Jeudi dernier, les tenants de cet "éveil létal" ont lancé un ultimatum aux femmes leur enjoignant de se voiler sous peine de sanctions dont ils n'ont pas révélé la teneur.  
Les théologiens des groupes islamistes avaient estimé auparavant que la victoire sur le  régime de Damas avait été "retardée", à cause des fautes et des péchés commis par les habitants de Deir-Ezzor. Aussi, était-il nécessaire de dissuader le péché, et de propager la vertu, principalement et prioritairement parmi les femmes en utilisant l'arme suprême du voile. A vingt ans de distance, on retrouve les mêmes méthodes, et les mêmes arguments religieux utilisé naguère par les G.I.A qui faisaient la loi dans certaines localités algériennes. Le 28 février 1994, la jeune Katia Bengana avait été froidement assassinée, à la sortie de son lycéen, parce qu'elle avait refusé d'obéir à l'injonction que subissent aujourd'hui les Syriennes. Vingt ans après, il appartient à chacun, et à chacune d'interroger sa conscience sur la portée de ce sacrifice, et sur les capacités de certaines sociétés à aller de l'avant sans y être poussées. Et puisque nous célébrons ce lundi un anniversaire, celui de la création de l'UGTA et de la nationalisation des hydrocarbures, apprécions ces statistiques qui donnent bien du souci à Pierre Akel, animateur du magazine "Shaffaf" (Middle East Transparency). Notre confrère se demande comment deux États pétroliers, donc supposés riches, peuvent être si éloignés en matière de progrès technologiques. Au classement des pays arabes en matière de rapidité de la connexion internet, l'Algérie est dernière avec un débit de 1,5 Mégabit/seconde, les Émirats arabes unis étant en tête avec 16,1 Mégabits (47ème rang mondial). "S'il est naturel qu'un État pétrolier, comme les Émirats arabes unis soit en tête des pays arabes, comment expliquer que l'Algérie, pays pétrolier, gazier et agricole, ne soit que 185 ème sur 188. Elle ne devance, en fin de compte, que la Gambie, l'Afghanistan, et le Congo démocratique", conclut Pierre Akel. Voilà des statistiques sans hidjabs qui ne vont pas plaire à ceux qui nous mijotent de beaux petits bilans triomphalistes, que ce soit pour prolonger l'agonie, ou pour marquer une fin de règne.   
A.H.

jeudi 20 février 2014

Poésie et massacre à la Saint-Valentin



Adel Hammouda
Adel Hammouda, créateur et directeur de la revue égyptienne "Al-Fedjr" est reconnu comme  l'un des plus talentueux journalistes de la génération post nassérienne (il est né en 1948). Il a notamment dirigé la rédaction du prestigieux magazine "Rose-Al-Youssef", avant un passage à "Al-Ahram", et une traversée du désert dans les journaux du Golfe. Opposant de métier, dirais-je, puisqu'il a été contre tous les autocrates successifs qui ont gouverné l'Égypte, Adel Hammouda a été l'un des rares à oser s'en prendre à l'icône Hassaneïn Heykal. L'ancien directeur d'"Al-Ahram", et confident de Nasser semble s'être spécialisé dans un métier, vieux, mais gratifiant se résumant à cette profession  de foi : "le roi est mort, vive le roi!". C'est ainsi que Heykal a pris son bâton de pèlerin pour défendre les nouvelles autorités mises en place par l'armée égyptienne. Or, nous dit Adel Hammouda, le même Heykal était en contact permanent avec les dirigeants du mouvement des "Frères musulmans", que ce soit avant la chute de Moubarel, ou après avec l'arrivée au pouvoir des islamistes. Dans un pamphlet retentissant, intitulé "L'automne de Heykal" (1), le directeur d'"Al-Fedjr" rappelle que le président déchu, Mohamed Morsi s'était rendu au domicile de Heykal, peu avant de devenir président de l'Égypte, puis c'est Heykal lui-même qui s'est déplacé au palais présidentiel.
Dès la chute de Morsi, l'ancienne éminence grise de Gamal Abdenasser a offert ses services au  nouveau pouvoir. Avec Moubarek, note encore Adel Hammouda, le même Heykal n'a pas écrit une seule ligne hostile à son égard, en trente ans, sachant que l'homme était impitoyable, et craignant sa colère. Une fois Moubarek à terre, Heykal s'est dépêché de publier un livre dans lequel il relatait les méfaits du "Raïs" déboulonné et de son entourage. Or, dans son récit farci d'anecdotes que toute la rue égyptienne connaît, et qui ne ressemble en rien à ce qu'il écrivait naguère, Heykal (2) a omis quelques détails, affirme encore Adel Hammouda. Il ne dit mot, notamment, des relations d'affaires qu'entretenaient les deux fils Heykal, Ahmed et Hassan, avec Djamal Moubarek. Les deux frères sont notamment impliqués dans la vente frauduleuse d'une banque égyptienne, la "National Bank", dont le produit aurait atterri, en partie, dans les poches de Djamal et Ala Moubarek (3). Quant aux deux fils Heykal, ils se sont réfugiés à Londres pour échapper aux poursuites judiciaires intentées contre eux. Leur père va les voir régulièrement, là-bas, tout en poursuivant sa diatribe contre la corruption du régime Moubarek, précise encore notre confrère.
Pourquoi suis-je venu vous parler de Monsieur Adel Hammouda? Parce que vendredi dernier, c'était la Saint-Valentin, qui nous revient tous les 14 février, en dépit des exorcismes et des anathèmes. C'est une fête païenne, occidentale, et donc étrangère à nos mœurs, selon nos sentinelles de la foi. Avant que la Saint-Valentin ne soit mise hors-la-loi, les Algériens n'attendaient pas ce jour pour aimer, pour s'aimer, mais c'était il y a bien longtemps. Bien avant qu'ils ne soient submergés par la haine d'eux-mêmes, des autres, et que ce funeste miroir ne renvoie Mr Hyde à la face du Dr Jekyl. Quel rapport avec le directeur de la revue "Al-Fadjr"? Justement, parce que notre confrère ne se contente pas d'interpeller les grands, et qu'il célèbre aussi la culture sur la chaîne satellitaire "Al-Nahar 2". Jeudi dernier, Adel Hammouda nous a invités à une Saint-Valentin originale, et pleine d'émotion, dans la maison de Nizar Qabbani, à Alep. Une demeure qui est restée en l'état, telle que le grand poète l'avait aménagée, et façonnée (4), avec la même tendresse, et la même inspiration que celles qui guidaient sa main lorsqu'il ciselait ses poèmes. On a entendu en "voix off" le poète déclamer l'un de ses poèmes, que l'irakien Kadhem Essaher a mis en musque et chanté, "Ahibbini" (aime-moi). On a évoqué aussi "Rissala min tahti alma" (Lettre du fond des eaux), et "qariat alfendjane" (la liseuse dans le marc de café), immortalisées par Abdelhalim Hafez.
Retour à la triste réalité : le jour même où l'Égyptien Hammouda célébrait le syrien Qabbani, un quotidien national, "Echourouk", livrait un autre poète, et écrivain, algérien celui-là, aux lyncheurs. Avec ce titre en "oreille", le journal ne pouvait qu'attirer l'attention :" Boudjedra considère que la violation de la sacralité du ramadhan relève de la liberté individuelle", avec une photographie, bien sûr, pour éviter une éventuelle erreur de cible. Le message est clair : puisque Boudjedra estime que le jeûne est une affaire de liberté individuelle, c'est qu'il porte atteinte à la sacralité du Ramadhan, même s'il le pratique. Ce qui est frappant dans ce procédé, c'est la terminologie adoptée, pour qualifier la non-observance du jeûne rituel. Avant que la bêtise ne prenne possession des lieux, on disait simplement d'un  non jeûneur que c'était un "Ouakkal Ramadhane", ou un "flafli", et on n'y pensait plus. Aujourd'hui, le fait de manger ou de boire, et même d'en faire état, est élevé au rang de crime suprême, d'offense envers Dieu. Ceci, alors même que ce "jeûne" relève du domaine réservé de la divine providence. J'ai le souvenir lumineux de cet auguste professeur de "Fiqh", au lycée,  rabrouant un élève qui avait dénoncé un camarade non jeûneur : "tu es jaloux? Fais comme lui!". S'il revenait, il serait effaré d'apprendre que les tribunaux de l'Inquisition siègent dans les rédactions des journaux, et que des appels au lynchage de nos grands écrivains sortent des rotatives. Selon les codes moraux en vigueur, vous pouvez être corrompu, voleur, assassin, à condition de ne pas "violer la sacralité du ramadhan". Si en plus, comme dit Brassens : "vous vous déhanchez comme une demoiselle, et prenez tout à coup des allures de gazelle", je n'ose penser au sort que ces gens là vous réservent.
A.H.
(1) "Kharif Heykal" : référence à double détente visant à la fois le célèbre ouvrage que Heykal a consacré à l'assassinat de Sadate en 1981, "L'automne de la colère", et à l'âge avancé de l'écrivain, le mot "Kharif" suggérant aussi que la personne est susceptible de radoter.
(2) En plus de ses divers talents, Heykal est aussi spécialiste en vins. À la table d'un richissime égyptien, ami de Moubarek, il raconte avoir vu, bien vu, une bouteille de "Château-Latour 1949", d'une valeur de 10.000 dollars. Il s'empresse de dire à son hôte qu'il n'est pas buveur (question de conjugaison : on a le droit d'avoir bu, mais pas de boire). Moi aussi, réplique ce dernier.  
(3) On se souvient que les deux fils Moubarek avaient été les principaux animateurs de la campagne hystérique contre l'Algérie, après le mémorable match de football opposant les deux pays à Oum-Dorman, au Soudan.
(4) Saisissant contraste entre l'intérieur de cette maison qui respire l'amour et la paix, et les images de guerre civile, et de cruauté, qui nous parviennent de la même ville.

mercredi 12 février 2014

Ceux qui partent, et les autres

Chaker Naboulci
Chaker Naboulci, c'est un nom qui ne vous dit certainement rien, et je le comprends. Tous vos journaux ne parlent que d'un certain Toufik, qu'un incertain Saadani cherche à déboulonner, aiguillé par un "prompt renfort", venu on sait trop bien d'où. "Qui l'a rendu si vain, lui qu'on n'a jamais vu qu'avec un "bendir" à la main?" (1). Donc, Saadani est lâché, mais en regardant autour de lui, après cet acte de témérité inouï, il a dû s'apercevoir qu'il était sans doute allé trop loin. Dame : on peut crier jusqu'à l'extinction de voix que l'Algérie ne trouvera de salut qu'en Abdelaziz, mais de là à emboîter le pas au "frère" Amar, il y a un pas que personne n'a osé franchir. Nous n'avons entendu que le hurlement strident des freins brutalement actionnés. D'aucuns ont opté pour une prudente marche arrière, n'ayant pas encore toutes les cartes en main, et se préservant pour le proche avenir, au cas où il faudrait voler au secours de la victoire.


Comme tout ceci ressemble à l'histoire du vieux lion, assailli par des "chacals", cette engeance qui ne doit qu'à un caprice de la langue française de ne pas finir en "aux". Et puis, tant qu'à faire, pourquoi ne s'offrirait-on pas le luxe de réformer notre butin de guerre, et d'apprendre à recompter nos "chacaux", et à cesser d'appeler nos canailles "Si flène"? Le plus rageant, c'est que l'autre, le Tewfik, ne dit toujours rien, il se laisse planter des fléchettes, tailler des escalopes, mais il ne dit rien. C'est à croire qu'il profite du hourvari déclenché autour de sa personne, pour nous préparer un de ces coups dont il a le secret, et qui est précisément sa partie. Moins téméraire que le "frère" en question, et avec beaucoup moins d'appuis que lui, je suis venu vous parler de Chaker Naboulci, qui aurait pu avoir un rapport avec le FLN. Si ce FLN là, ne s'était pas empressé de se débarrasser de son "A.L.N", et de se consacrer à la gestion de la rente, et au graissage des rouages du pouvoir.

Si le nommé Saadani ne s'était pas improvisé, et par intrusion, défenseur de la "société civile", l'idée ne m'aurait pas effleuré de l'associer à Naboulci, ne serait-ce que pour les distinguer l'un de l'autre. Autant dire que les deux n'étaient pas faits pour jouer dans la même division (2). L'un, anciennement appareillé à une "derbouka" selon ses plus fiables détracteurs, est devenu un homme d'appareil, à la force du poignet, si j'ose dire. L'autre est un intellectuel jordanien, qui est décédé, de façon presque subreptice, le 14 janvier dernier, aux États-Unis, où il avait étudié et travaillé, et où il avait choisi de finir ses jours, faute de mieux. C'est sans doute à ce choix que Chaker Naboulci doit le silence qui a entouré sa disparition. Sachant que dans nos pays on pardonne rarement à ceux qui ont préféré aller chercher ailleurs ce bonheur que nous nous acharnons à maintenir enfoui sous nos pieds.
Naboulci était considéré comme le chef de file des "Nouveaux libéraux arabes", un courant de pensée et d'action, prônant la laïcité, comme socle de la démocratie. Un courant qu'il avait initié avec d'autres penseurs de renom, comme le Tunisien Lakhdar Afif qui est parti, aussi discrètement lui aussi, en juillet dernier. Sociologue, critique littéraire, et polémiste de talent, Chaker Naboulci s'était attiré les foudres des théologiens, en prenant à contre-pied. Pour lui, les théologiens et les "cheikhs" islamistes n'avaient qu'une seule démarche, et un seul objectif: soumettre les textes sacrés à leur courant, et imposer ce courant à la communauté musulmane. Il s'était ainsi frontalement opposé au cheikh Karadhaoui, lorsque ce dernier avait sommé les Kurdes d'Irak de prendre position en faveur ses sunnites arabes contre les chiites.
Il lui avait reproché d'avoir gardé le silence, pendant des années, sur les exactions de Saddam Hussein contre les Kurdes, et de ne reconnaître leur existence que lorsqu'il s'agit d'en faire des alliés, dans un conflit interreligieux. Chaker Naboulci n'hésitait pas aussi à s'attaquer aux tabous religieux, et notamment en contestant la véracité des hadiths, validés par des imams prestigieux comme Boukhari. Selon lui, au moins 5000 hadiths validés par Boukhari, deux cents ans après la mort du Prophète, devraient être expurgés de la Sunna. Dans cet ordre d'idées, il avait mis également en doute l'authenticité de nombreux hadiths concernant les femmes, et tendant à les rabaisser, voire à les avilir, que brandissent volontiers les cheikhs d'aujourd'hui.

Parmi ces rapporteurs de hadiths, sujets à contestation, Chaker Naboulci cite le cas d'Abou-Horeïra, à qui Omar avait interdit de rapporter les dits prophétiques, et qui s'en était donné à cœur joie après la mort du Khalife. Il évoque encore l'exemple d'un autre rapporteur, Abdallah Ibn Abbès qui n'avait que onze ans à la mort du Prophète, et qui a rapporté environ 1660 hadiths. Le Khalife Ali avec qui il avait polémiqué disait de lui : "il mange illicite (haram), boit illicite, et il ne remplit pas la mission que Dieu lui a confiée", ajoute Chaker Naboulci. Auteur prolifique, l'écrivain jordanien a édité plus d'une soixantaine de livres et d'essais, dont une biographie du caricaturiste palestinien, Nadji Alaali, assassiné en 1987 par le "Mossad" à Londres. Son dernier ouvrage, édité en septembre 2013 à Beyrouth, et intitulé "La sexologie arabe", est aussi un sujet à controverses et à polémiques. De là où il est, il n'entendra pas les vociférations, et les fulminations, des imams de l'excommunication et de la diabolisation. Il y en a qui partent, et qui ne laissent que des regrets, mais il y en a d'autres qui s'entêtent à rester, ne suscitant qu'amertume et colère!

A.H.


(1) Je sens qu'avec cette envolée inspirée du "Cid" de Corneille, certains de mes bons amis vont se laisser convaincre que j'ai été "Colonel du DRS" dans une autre vie.

(2) À ce propos, on m'a raconté ces jours-ci que l'ennemi intime de Saadani, en l'occurrence Tewfik, serait confronté à une désaffection massive de son entourage, au point qu'il n'arriverait même plus à constituer une équipe complète pour pratiquer son sport favori, le football. Ce second alinéa tendrait à m'exonérer de l'étiquette évoquée ci-dessus, comme dirait l'un de mes rares amis qui ont réussi à atteindre le grade de colonel.

  

mardi 4 février 2014

Le discours et les méthodes

"Abi, Abi", la fillette habillée comme une "Barbie" arabe, avec voile enguirlandé, interpelle son père comme
on le fait dans les feuilletons religieux en vogue, avec l'Arabe "Fousha" de rigueur. La fillette qui ne doit pas avoir plus de cinq ans insiste en tirant sur un pan de la "dichdacha" de son père, qui a apparemment de la peine à se doter d'une barbe touffue. "Abi, Abi" (Papa, Papa), "Echri li sucette" (achète-moi une sucette). "Echri li sucette", c'est ce qui reste quand on a tout perdu : les deux premiers mots étant d'usage courant, jusqu'à preuve du contraire. Le deuxième n'ayant pas encore trouvé sa traduction dans les feuilletons, cette douceur n'était pas encore inventée, sauf avis contraire des concordistes, au temps béni où l'on parlait un "Arabe châtié". Cette réplique enfantine pourrait résumer à elle seule les tiraillements, et les tentatives de fuite de la réalité qui caractérisent nos sociétés, qui ne savent plus distinguer la piété de la pratique, le bien du mal, le vrai du faux. Une société où la croissance de la pratique, illustrée par l'affluence dans les mosquées, est inversement proportionnelle à la décrue de la foi, ou de la piété. Bref, pour faire court et puisque nous parlons, et vivons, en "R.A.D.P", sigle qui peut prêter à toutes les interprétations, y compris au raisonnement par l'absurde : plus il y a de pratiquants, moins il y a de croyants. Quand la piété est ostentatoire, et se décline en accoutrements, et en décibels, la vraie foi se fait discrète, ou fait semblant d'être sensible au discours ambiant. Lorsque vous traversez un quartier ou une place publique, vous avez l'impression d'être au milieu d'une troupe de théâtre faisant la promotion de sa prochaine pièce, à contenu religieux, bien sûr. À l'exception des jours de match, ou les répliques, et dans une moindre mesure les locuteurs, changent, vous n'entendez que des propos portant de groupe en groupe une sainte terreur, ou une ferveur à brûler les planches. Un vrai marché d'Okaz où dupeurs et dupes font leurs emplettes en toute conscience et…hypocrisie.


Que ceci ne vous inquiète pas trop : nous ne sommes pas seuls dans ce vaste univers de la tartufferie, et de la bondieuserie exacerbée. Le quotidien saoudien édité à Londres, "Al-Hayat", qu'on ne peut soupçonner d'anti wahhabisme, s'est inquiété de ce phénomène dans la société saoudienne. Le titre de l'article "L'addiction au discours religieux" est tout un programme à lui seul, et il constitue un indicateur précieux du degré de préoccupation des autorités du royaume. Partant d'un débat télévisé autour de la notion de "Djihad", et de ses fondements religieux, l'auteur Khaled Al-Dakhil s'en prend à la prééminence du discours religieux, dans tous les cas de figure. "Outre le fait qu'un discours unique réprime le pluralisme dans la société, écrit-il, il dynamite aussi les acquis du développement et de l'éducation. Tout comme il annihile les capacités de la société à s'exprimer en dehors de ce cadre, ce qui a pour effet de créer une espèce de dédoublement de la personnalité qui s'enracine dans la société. Dans l'espace public, tout le monde a recours au discours religieux, ou tient des propos qui ne heurtent pas ce discours. Cependant que dans l'espace privé, où la censure est moindre, et où il y a plus de liberté, le discours change d'orientation, quand il n'est pas en contradiction avec ce qui se dit sur la place publique".

Tout ceci pour en arriver à quoi ? Au fait que l'Arabie saoudite est de plus en plus tiraillée intérieurement par le souci de se conformer à la ligne dure du Wahhabisme, et l'objectif de préserver ses intérêts d'État. L'éditorialiste du quotidien "Al-Hayat" nous dit clairement que le plus grand danger qui guette le royaume wahhabite est d'être en porte à faux avec l'enseignement religieux dispensé à ses sujets. "C'est cet enseignement qui conduit à aiguiser, et à amplifier la contradiction entre les positions, les calculs politiques et les intérêts de l'État, et un discours religieux qui ne voit pas les choses sous le même angle. Le discours inculque des notions comme "les musulmans sont frères, et ils doivent se soutenir mutuellement". Alors que l'État n'est pas en mesure, en même temps de mettre en pratique cette recommandation. Ainsi, la situation en Syrie a accentué cette contradiction, non seulement dans le cas de l'Arabie saoudite, mais dans celui de tous les pays arabes", ajoute Khaled Al-Dakhil.

Quant à l'autre contradiction, celle qui concerne la place d'Israël dans le discours religieux, et dans les calculs politiques, elle semble avoir été résolue. Dans un premier temps, une éminente figure de la monarchie avait envisagé une alliance avec l'État sioniste, pour faire face au nucléaire iranien. La semaine dernière, c'est une autre personnalité saoudienne de premier plan, l'Émir Turki Al-Fayçal, qui a rencontré la sulfureuse Tzipi Livni, en charge du dossier des négociations avec les Palestiniens. Le quotidien "Al-Quds" qui publie l'information, citant les médias israéliens, rapporte que la rencontre a eu lieu en marge de la conférence sur la sécurité à Munich. Les deux interlocuteurs ont évoqué le dossier des négociations israélo-palestiniennes, et l'émir saoudien a fait part de sa satisfaction de voir Tzipi Livni conduire la délégation israélienne. Il faut sans doute rappeler que Tzipi Livni, qui a eu d'autres talents, a défrayé la chronique l'année dernière en révélant qu'elle avait "négocié" dans une chambre équipée de caméras, avec des leaders palestiniens. C'était il y a bien longtemps, bien sûr, lorsque Tzipi était un agent "opérationnel" des services israéliens. Il est évident aujourd'hui que ses charmes sont devenus inopérants, non seulement par la force de l'âge, mais encore par la politique de colonisation de son gouvernement. Le charme est rompu aussi du côté des banques israéliennes avec leurs homologues des pays nordiques : "Al-Quds" nous apprend que deux grandes banques du Danemark, et de la Suède, ont décidé de boycotter trois établissements bancaires israéliens en raison de leur participation à la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. De quoi effacer les caricatures danoises, et raviver le souvenir de ces banques américaines qui financent la colonisation avec des fonds arabes, saoudiens en particulier. Au fait, comment dit-on sucette en arabe littéral ?