jeudi 7 mars 2013

Célibataire, et en bonne santé



A l'occasion du 8 mars, je n'ai rien trouvé de mieux que ce texte d'une femme qui n'a pas froid aux yeux, qui sont de couleur miel, nous dit-elle. Cette chronique est publiée en arabe et en anglais, sur le site "Free-Arabs", dont voici le lien pour ceux qui veulent la lire en V.O :

http://freearabs.com/index.php/the-independent-woman/160-jb-span-1-jb-span

Célibataire et en bonne santé !

 

Par Sanaa Elaji 

Je m'appelle Ahlem, et peu importe qui est mon père. Je suis née en 1982, et je suis donc âgée de 30 ans. Je suis d'une "beauté acceptable", comme le proclament les annonces matrimoniales de certaines revues arabes en vogue. Brune, comme la majorité des filles de mon pays, et grande; ce qui me plaît le plus dans mon corps, ce sont mes yeux de miel. Toutefois, je sais, pour ma part, que c'est ma poitrine opulente qui attire le plus les autres. Aussi, et depuis que j'ai pris conscience de ce don, je m'emploie à l'entretenir, et à en user avec une certaine provocation.
Mon problème, c'est que je suis célibataire. Le dictionnaire de la langue arabe me considère comme "vieille fille", mais je n'accepte pas ce terme de "vieille fille", c'est une expression misérable. Je suis une célibataire. Et le célibat pour moi est beaucoup plus qu'un statut familial, administratif ou légal. C'est ce choix qui te permet de décréter que ton bonheur ne s'arrête pas nécessairement à un seul être. Je suis celle qu'on considère comme une mineure à vie, mais qui refuse qu'on exerce sur elle une quelconque tutelle; sous prétexte qu'elle est née avec un appareil génital féminin, dans une société qui a peur du corps féminin et qui le recouvre d'un voile répressif. Je suis la fille de cette canicule qui fait bouillir instantanément le sang, lorsque ma respiration menace l'honneur de ma famille. Etrange paradoxe : je suis mineure aux yeux de la société, parce que je suis une femme placée sous la tutelle de son père, de son frère, ou de son mari. Sauf que je me retrouve, de façon surprenante, investie de l'honneur de toute la famille.  
Je crois en l'amour…Et c'est là, effectivement, qu'est mon vrai problème. Je rêve d'un homme qui me comble d'amour, mais ma mère ne voit pas les choses sous le même angle. Ça ne l'intéresse pas que je sois aujourd'hui une ingénieure en informatique respectée dans une des grandes entreprises économiques de mon pays. Il lui importe peu que mon salaire mensuel soit le quintuple de celui que perçoit mon père, petit fonctionnaire, dans une administration locale. Je reste, à ses yeux, une femme qui a échoué tant qu'un homme ne vient pas frapper à notre porte pour demander ma main à mon père. Ces histoires de mariages, de divorces, et de tromperies, ne suscitent pas la peur chez ma mère, comme elles le font pour moi. Elle estime que les personnes concernées vivent des situations normales, et que moi je n'ai pas de chance, ou alors, je suis victime d'un sortilège. La sorcellerie, c'est notre prescription idéale, celle qui nous permet de ne pas assumer nos responsabilités. Nous ne sommes responsables d'aucune décision, d'aucun évènement, nous sommes simplement ensorcelés…Une coutume sociale qui nous pousse à nous résigner à l'impuissance, lorsqu'il y a des problèmes devant lesquels nous nous sentons désarmés, et sans ressources.
Je me souviens, qu'un jour, je suis allée voir ma mère pour lui dire que j'avais réussi à obtenir la grosse somme d'argent dont on avait besoin pour régler un problème familial : "j'ai une bonne nouvelle pour toi, Maman". Elle m'a répondu vivement : "Est-ce qu'il y a quelqu'un qui vient demander ta main?". Je me suis sentie démoralisée, à ce moment là. J'avais déployé de grands efforts pour trouver cet argent. Je me sentais heureuse et euphorique pour ce que j'avais fait, avant de m'apercevoir que le véritable exploit, aux yeux de ma mère, aurait été de trouver un mari qui me serve de paravent. Sans même m'en rendre compte, des flots de larmes ont commencé à couler de mes yeux.
Je n'ai pas trouvé les mots nécessaires pour expliquer à ma mère qu'il y avait beaucoup de belles choses dans la vie, et que le mariage n'était pas ce que je pouvais réaliser de mieux. Que je ne fuyais pas devant l'amour, ni devant le mariage, et que je recherchais un vrai partenaire, et non pas un homme avec qui je partagerais le lit, les dépenses du ménage, sans plus, alors que chacun de nous garderait pour lui ses propres rêves, son univers propre.
Je n'ai pas trouvé les mots, ni le courage, pour hurler au visage de ma mère que je n'étais pas la pauvresse impuissante qu'elle imaginait, et que l'important pour moi était d'être heureuse, avec ou sans mariage. Je n'ai pas trouvé de mots pour lui dire que je recherchais un homme qui comprenne la langue de Nizar Qabbani, qui sache écouter les battements de mon cœur, qui comprenne mon silence, qui sache comment me faire rire, et panser mes blessures, qui respecte mon indépendance. Je ne suis pas une folle romantique. Je comprends aussi que le mariage ce sont les petites choses du quotidien, des moments d'abattement, parfois, et beaucoup de temps consacré à la négociation. Oui, mais je voudrais que tout cela soit assorti d'un brin de sel, et de la douceur d'aimer. Comment tout expliquer à ma mère? Comment expliquer tout ça à une femme qui considère le mariage comme un mal nécessaire? Je me suis tue, par faiblesse et par compassion pour elle…Le soir, je lui ai donnée l'argent, avec beaucoup d'amertume, parce que la difficulté que j'ai eue à l'obtenir, ne signifie rien pour ma mère, tant que le prétendant n'est pas venu frapper à sa porte.  
La réalité, c'est que le problème n'est pas seulement celui de ma mère. Nous sommes une société que les choix, différents, de ses membres agacent. Tu dois ressembler à tout le monde, et choisir la même voie. Tout autre choix différent des leurs les irrite. Ils se vengent alors en t'agaçant avec mille et une questions. Je ne comprends pas pourquoi chaque personne que je rencontre me pose cette question : "y-a-t-il un prochain mariage dans l'air ?". Etre une femme en pays de misère arabe, et avoir dépassé les vingt-cinq ans, sans avoir de partenaire officiel, est une source d'agacement pour tout le monde…Je crois même que la hantise du mariage chez de nombreuses femmes est dictée par le désir d'échapper aux questions nombreuses et indiscrètes.

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