samedi 1 mars 2014

Marie-Christine Saragosse à l'Institut français d'Alger



Un cri de révolte devenu roman



"Temps ensoleillé avec fortes ravales de vent"(1), est un premier roman qui a aussi son "Making of", comme au cinéma. Une histoire aussi émouvante que celle qu'il nous donne à lire, et la littérature avide de fiction vraie, pourrait aisément s'en emparer. C'est de cette belle histoire d'une écrivaine à qui "son père a donné le jour, et à qui elle a rendu la parole", que Marie-Christine Saragosse est venue parler mardi dernier à Alger.



Il y a des révoltes qui naissent du refus de l'injustice, et rien ne semble plus injuste que la condescendance avec laquelle une infirmière traite un malade lourdement handicapé par une maladie neurologique. La révolte est encore plus violente quand l'infirme se trouve être son propre père, que le mal a rendu progressivement aveugle et aphone. Un père qui perçoit cette espèce de mépris avec lequel certains garde-malades traitent leurs patient, et qui ne peut répliquer, laisser éclater sa colère. C'est alors que Marie Christine Saragosse prend la parole, comme si elle était son père, et assène à l'infirmière, oublieuse de son humanité, quelques vérités peu  aimables mais si bonnes à dire.

Elle s'empare du "Je" paternel, et dit d'une seule traite tout ce qu'il aurait voulu exprimer, sans le pouvoir, et qu'il peut entendre cependant. La révolte filiale, ou ce moment d'indignation que n'aurait pas désavoué Stéphane Hessel, va donner naissance à un livre, écrit par une femme mais dont le "Je" est masculin. Un roman écrit "pour retenir le temps", à la gloire de ce père qui se comparait à "une feuille morte emportée par le vent de l'Histoire", mais qui trouvait le moment de se poser, de se mettre à l'abri. La saga de cette famille se déroule en grande partie en Algérie, et plus précisément dans la ville de Skikda, qui s'appelait Philippeville lorsque Marie Christine Saragosse y a vu le jour.

Singulièrement l'histoire qui suit les péripéties de la guerre d'indépendance de l'Algérie, n'est pas plombée par la violence des évènements, ni par le ressentiment qui émane souvent de cette communauté pied noir, en France. La guerre ici est comme un décor d'arrière plan, et  son épilogue n'a pas le goût amer des évocations nostalgiques, auxquelles nous sommes habitués depuis 1962. Pas d'aigreur, ni départ dans la précipitation, puisque le père et la mère choisissent des rester à Skikda, après l'indépendance, même si c'est pour quelques brèves années. Il y a d'ailleurs un chapitre significatif du roman qui proclame : "Ni valise, ni cercueil", et qui résonne comme un défi lancé au slogan mis en vogue par l'OAS, aux dernières heures de la colonisation. On sent à peine le regret légitime pour ce qui aurait pu être, et seule émerge de ce roman l'histoire d'amour, entre les deux parents de Marie Christine, et l'espoir que suscitent l'œuvre et son auteure.

Mais comme le raconte cette dernière, si l'histoire de Claude, et d'Annie Tolède, ses parents, se lit d'une seule traite, l'œuvre a mis plus de temps à arriver à terme. Madame Saragosse voulait, en effet, parler comme son père, utiliser son vocabulaire, et même ses gros mots. Ecrivant à Paris, elle envoyait des chapitres de son œuvre à sa mère qui les lisait au père, à Cannes, dans le sud de la France. "Il a lu tout le livre, sauf le dernier chapitre". Et il validait le plus souvent, par un sourire, certains passages, soit qu'il s'y reconnaissait, soit qu'il trouvait que son interprète en faisait trop. Malgré tout, "vingt fois sur le métier, elle remettait son ouvrage", selon la formule de Boileau, et défaisait, telle Pénélope, le soir la toile confectionnée le jour. Encore une référence à cette méditerranée et à ses deux rives, Skikda au sud, et Cannes, la ville du retour au nord. "A Skikda, on avait la méditerranée au nord, mais à Cannes, elle était au sud, il y a de quoi vous chambouler l'esprit". Au départ, elle écrivait uniquement pour son père, mais après la mort de ce dernier, en 2008, elle a bouclé le dernier chapitre, puis la rencontre avec un éditeur a fait le reste. Aujourd'hui, Marie Christine Saragosse, dirige "France Média Monde" qui chapeaute France 24, RMC Moyen-Orient, et Radio France Internationale, après avoir dirigé TV5. Toutefois, et en dépit de ses succès professionnels, elle avoue que ce roman est son "plus grand moment de bonheur". Un bonheur qu'elle a volontiers partagé, le temps d'un soir rien qu'en en racontant la genèse, à de futurs lecteurs. Le roman, publié seulement en France, pourrait être, en ces temps d'embellie, un élément important de cet "équilibre de la fraternité", évoqué par l'auteur, puisqu'il est question de sa réédition en Algérie.

Salah AREZKI  
(1) Éditions ErickBonnier (2012) 
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire