jeudi 6 mars 2014

Ecrivain adulé, citoyen mal-aimé

Yasmina Khadra
Dans n'importe quel pays francophone, ou même anglophone, Yasmina Khadra n'aurait eu aucune difficulté à recueillir 60.000 signatures, et même beaucoup plus, mais pas en Algérie. Ce qui veut dire que les files qui se forment pour se faire dédicacer ses livres, ne sont pas des files de lecteur, mais d'acheteurs. On s'offre aujourd'hui le dernier roman de Khadra, comme on s'offrait jadis une collection encyclopédique, juste pour garnir sa bibliothèque, seulement pour proclamer qu'on connait, qu'on a lu. Et si par hasard l'écrivain est lu, il n'est jamais suivi, puisqu'il est connu depuis Jésus-Aïssa que nul ne peut être prophète chez lui. Un écrivain peut aimer son peuple jusqu'à lui consacrer les plus belles pages de la littérature, clamer partout que c'est le plu grand peuple du monde, il n'aura rien en retour. Même pas 60.000 signatures qui ne coûtent que l'effort de remplir un formulaire, même pas quelques articles dans la presse pour dire que c'est une bénédiction d'avoir un grand écrivain pour président. D'où son cri d'amertume contre les médias qui l'encensent à longueur d'année, mais ne lui manifestent qu'indifférence, voire hostilité, lorsqu'il s'agit de le soutenir, car porter un écrivain au pouvoir, c'est cela le vrai changement. Franchement, j'étais convaincu que Yasmina Khadra allait passer l'obstacle des 60.000 signatures, les doigts dans le nez comme on dit, mais j'ai manqué de flair, et ce n'est pas la faute de ma rhinite allergique. Je ne croyais pas à une victoire possible de l'homme de lettres, même si j'en rêvais, mais je pensais qu'il allait apporter un peu d'influx, de l'oxygène à une campagne qui nous "pompe déjà l'air". Je l'imaginais lisant des chapitres de ses romans à la tribune, en guise de programme, et je voyais sa cote monter, monter, jusqu'à finir avec un score plus qu'honorable, porteur d'espoir. C'est triste un pays où un écrivain adulé par ailleurs ne suscite même pas un tressaillement, un sentiment d'espérance en l'avenir, un pays où l'écrivain-candidat est envoyé au pilon avant même d'être "lu". C'est tragique un peuple qui ne sait pas saisir sa chance, et qui n'a toujours pas appris à choisir entre un livre qui illumine, et un pneu enflammé qui brûle.  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire