mercredi 17 avril 2013

Si près de toi mon Dieu !






Où il est démontré que l'ivresse de l'altitude, additionnée à celle que distille un Johnny Walker, "étiquette rouge", peut réveiller de mauvais penchants. Il faudra bientôt ajouter aux consignes de bord dans les avions l'interdiction de voler…  


Il y a quelques longues années, lorsque j'étais jeune et turbulent (je le suis toujours), je voyageais avec une délégation officielle, à bord d'un avion officiel et très haut placé (l'altimètre de bord indiquait 10.000 mètres). Nous revenions d'un périple africain, et comme le trajet de retour était long et ennuyeux, nous avons reformé les deux équipes de belote qui s'étaient déjà affrontées au sol. Le principe était d'opposer deux journalistes à deux membres de la délégation officielle qui étaient cette fois-là deux hauts cadres, un civil et un militaire. Ivresse de l'altitude, ou autre, mon partenaire s'était mis à commettre des erreurs de débutant, et comme nous étions en difficultés, je me devais de réagir. Je me suis souvenu d'une méthode de triche très efficace que m'avait enseignée un diablotin de mes amis de lycée (qui le sont toujours), et que nous avions expérimentée à merveille, durant de longues années (1). Alors que nous survolions le territoire algérien, celui de la vigilance, et de la suspicion, permanentes (2), l'un de nos adversaires me prit, si l'on veut, la main dans le sac. Suffoquant d'indignation, cet officier supérieur de l'armée, leva les bras au ciel et s'écria : "si près de toi mon Dieu!". Et se tournant vers moi : "comment peux-tu tricher à une telle altitude, tu n'a donc pas peur de Dieu?". Comme la bonne humeur avait vite repris le dessus, je répondis piteusement à la manière du scorpion, en disant que je le faisais machinalement, sans y penser.
Le souvenir de ce voyage m'est revenu la semaine dernière, alors que j'étais à bord d'un avion de ligne, volant approximativement à la même altitude que le premier nommé. J'ai été ainsi confronté à un curieux incident, rarissime dans les transports aériens, à ce qu'on m'a dit. Je ne vous dirai pas le nom de la compagnie aérienne, ni l'horaire du vol, quant au trajet, certains l'auront deviné, c'est celui de Paris-Alger. J'étais donc installé sur mon siège, côté couloir, lorsque ce voyageur, venu ou extradé d'une autre planète, est venu s'installer dans la même rangée. Alors que l'avion n'avait pas encore commencé à rouler sur la piste, celui qui allait être mon compagnon de voyage (mouvementé), a essayé d'engager la conversation. Devant mon manque d'enthousiasme, il s'est rabattu sur son téléphone, en engageant une conversation bredouillante, entrecoupée d'"Inchallah". En le voyant ensuite dégainer une bouteille de Johnny Walker (Red label), à moitié vide, de son sac "duty-free", j'ai compris qu'il était du genre à avaler une rasade de whisky, et à dire "Al-hamdulilah". Je me suis tout de suite demandé si ce gars là n'allait pas avoir des ennuis à l'arrivée, à l'aéroport, au vu de son état et de son comportement. En dépit des consignes, il a continué à téléphoner à toutes ses connaissances, y compris au syndic de son immeuble pour lui signaler une fuite d'eau dans les sous-sols. Rien de plus normal me direz-vous: ne dit-on pas chez nous que l'ivrogne connait la porte de sa maison. Mais là. Allez une bonne rasade de "Johnny" pour fêter le décollage réussi!
Je me suis mis à réfléchir, et à supputer façon résolution du FLN : considérant que l'homme a l'air d'être assez proche de la cinquantaine, et qu'il a sans doute des problèmes de prostate. Considérant ce qu'il a bu, et ce qu'il boira sans doute durant le trajet. Considérant les problèmes de vessie subséquents. Il aura à se déplacer plusieurs fois vers les toilettes (3), et j'aurais donc aussi à me lever pour lui céder le passage. Or,  je voulais regarder tranquillement un épisode de "Game of thrones" sur mon portable, dont je craignais d'ailleurs qu'il soit atteint par une manipulation hasardeuse de la bouteille susnommée. Par prudence, je me suis donc décalé vers l'autre rangée de sièges inoccupés, avec mon lap-top, négligeant de déplacer aussi mon sac "duty-free", qui était sous le siège de devant. Ce n'est qu'au moment où l'avion amorçait sa descente vers Alger que je me suis aperçu que mon sac n'était plus là où je l'avais mis. J'ai essayé d'attirer l'attention de l'unique occupant de la rangée que j'avais vu fureter sous les sièges à la recherche de sa carte de débarquement qu'il avait jetée dans un premier geste de révolte citoyenne, sponsorisée par l'émir Johnny Walker. En vain: il semblait avoir perdu les sens de la parole, et de l'ouïe, tout en s'affairant à empiler d'autres affaires sur le sac suspect. J'ai même eu l'impression de l'avoir vu regarder fixement le hublot, comme s'il était à bord d'un bateau, et qu'il pouvait jeter l'objet compromettant à la mer. Ce qui a achevé de me convaincre qu'il avait encore assez de lucidité pour s'apercevoir qu'il ne pouvait dissimuler trop longtemps son larcin. Malgré cela, il s'est entêté, et a refusé de montrer le contenu de son sac à l'intérieur duquel il avait fourré hâtivement le mien.
Devant son refus obstiné, et son attitude impolie, et injurieuse parfois, nous nous sommes retrouvés lui et moi au poste de police de l'aéroport. Dans l'intervalle, il avait eu un début d'altercation avec un ou deux voyageurs, en attente de passer les contrôles de police, et s'en était pris à moi, me menaçant de me "découper en lanières". Comme j'avais mon petit magnétophone dans ma poche, je lui ai demandé de répéter ses propos, ce qu'il a fait sans plus attendre, en y ajoutant cette insulte cinglante : "Espèce de journaliste!". On m'avait déjà traité de quelques noms d'oiseaux et d'animaux moins nobles, et même de membre d'une aristocratie infernale, mais jamais on ne m'avait fait un tel compliment. Toujours est-il que j'ai fini par récupérer mon bien, vu que j'étais le seul à connaître le contenu du sac dérobé momentanément.
Et même, à ce moment là, pris sur le fait, il n'a même pas eu un mot de regret, au contraire : "Tu t'es volé toi-même". Autrement dit, en lui abandonnant la place, et en laissant mon sac à portée de sa convoitise et de sa main, je l'avais induit en tentation, et j'étais donc le vrai coupable. Que voulez-vous faire après cela? Je suis parti en remerciant tout le monde, lui compris pour avoir daigné renoncer à garder mes emplettes, une boîte de cigares, et une bouteille de whisky indemne (3). Parti comme il était, il aurait pu vouloir consommer immédiatement son butin, ouf ! En plus, je ne fume pas et la bouteille n'était pas pour moi. Avec le recul, je pense que j'aurais du demander au moins que soit notifiée à cet individu une interdiction de voler, avec toutes les définitions du dictionnaire. Sinon, chaque fois que je m'installerai dans un avion, je me demanderai si le prochain passager à côté de moi, ne sera pas mon compagnon de voyage imbibé et amoral. Au secours ! Laissez-moi descendre !

(1)   Mes excuses et regrets tardifs à tous les copains que j'ai ratatinés à la beloté en me servant de procédés indignes. Mea Culpa !
(2)    Malheureusement, la méfiance et la suspicion sont toujours dirigées vers les mêmes, ceux qui ne font pas œuvres de rapines. Pendant ce temps, les industriels du vol et des détournements s'en donnent à cœur joie.
(3)   Cette précision est utile pour ceux qui pourraient croire que je ne suis pas sensible à un bon whisky, avec une étiquette plus avantageuse, mais le vin blanc est excellent actuellement à Alger. Vous avez dit "Astaghfiroullah"?
 

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