Un cri de révolte devenu roman
"Temps
ensoleillé avec fortes ravales de vent"(1), est un premier roman qui a aussi
son "Making of", comme au cinéma. Une histoire aussi émouvante que
celle qu'il nous donne à lire, et la littérature avide de fiction vraie,
pourrait aisément s'en emparer. C'est de cette belle histoire d'une écrivaine à
qui "son père a donné le jour, et à qui elle a rendu la parole", que
Marie-Christine Saragosse est venue parler mardi dernier à Alger.
Il y a des révoltes qui naissent du refus de l'injustice, et rien ne
semble plus injuste que la condescendance avec laquelle une infirmière traite
un malade lourdement handicapé par une maladie neurologique. La révolte est
encore plus violente quand l'infirme se trouve être son propre père, que le mal
a rendu progressivement aveugle et aphone. Un père qui perçoit cette espèce de
mépris avec lequel certains garde-malades traitent leurs patient, et qui ne
peut répliquer, laisser éclater sa colère. C'est alors que Marie Christine
Saragosse prend la parole, comme si elle était son père, et assène à
l'infirmière, oublieuse de son humanité, quelques vérités peu aimables mais si bonnes à dire.
Elle s'empare du "Je" paternel, et dit d'une seule traite
tout ce qu'il aurait voulu exprimer, sans le pouvoir, et qu'il peut entendre
cependant. La révolte filiale, ou ce moment d'indignation que n'aurait pas
désavoué Stéphane Hessel, va donner naissance à un livre, écrit par une femme
mais dont le "Je" est masculin. Un roman écrit "pour retenir le
temps", à la gloire de ce père qui se comparait à "une feuille morte
emportée par le vent de l'Histoire", mais qui trouvait le moment de se
poser, de se mettre à l'abri. La saga de cette famille se déroule en grande
partie en Algérie, et plus précisément dans la ville de Skikda, qui s'appelait
Philippeville lorsque Marie Christine Saragosse y a vu le jour.
Singulièrement l'histoire qui suit les péripéties de la guerre
d'indépendance de l'Algérie, n'est pas plombée par la violence des évènements,
ni par le ressentiment qui émane souvent de cette communauté pied noir, en
France. La guerre ici est comme un décor d'arrière plan, et son épilogue n'a pas le goût amer des
évocations nostalgiques, auxquelles nous sommes habitués depuis 1962. Pas
d'aigreur, ni départ dans la précipitation, puisque le père et la mère
choisissent des rester à Skikda, après l'indépendance, même si c'est pour
quelques brèves années. Il y a d'ailleurs un chapitre significatif du roman qui
proclame : "Ni valise, ni cercueil", et qui résonne comme un défi
lancé au slogan mis en vogue par l'OAS, aux dernières heures de la
colonisation. On sent à peine le regret légitime pour ce qui aurait pu être, et
seule émerge de ce roman l'histoire d'amour, entre les deux parents de Marie
Christine, et l'espoir que suscitent l'œuvre et son auteure.
Mais comme le raconte cette dernière, si l'histoire de Claude, et
d'Annie Tolède, ses parents, se lit d'une seule traite, l'œuvre a mis plus de
temps à arriver à terme. Madame Saragosse voulait, en effet, parler comme son
père, utiliser son vocabulaire, et même ses gros mots. Ecrivant à Paris, elle
envoyait des chapitres de son œuvre à sa mère qui les lisait au père, à Cannes,
dans le sud de la France. "Il a lu tout le livre, sauf le dernier
chapitre". Et il validait le plus souvent, par un sourire, certains
passages, soit qu'il s'y reconnaissait, soit qu'il trouvait que son interprète
en faisait trop. Malgré tout, "vingt fois sur le métier, elle remettait
son ouvrage", selon la formule de Boileau, et défaisait, telle Pénélope,
le soir la toile confectionnée le jour. Encore une référence à cette
méditerranée et à ses deux rives, Skikda au sud, et Cannes, la ville du retour
au nord. "A Skikda, on avait la méditerranée au nord, mais à Cannes, elle
était au sud, il y a de quoi vous chambouler l'esprit". Au départ, elle
écrivait uniquement pour son père, mais après la mort de ce dernier, en 2008, elle a bouclé le dernier chapitre, puis la rencontre avec un éditeur a
fait le reste. Aujourd'hui, Marie Christine Saragosse, dirige "France
Média Monde" qui chapeaute France 24, RMC Moyen-Orient, et Radio France
Internationale, après avoir dirigé TV5. Toutefois, et en dépit de ses succès
professionnels, elle avoue que ce roman est son "plus grand moment de
bonheur". Un bonheur qu'elle a volontiers partagé, le temps d'un soir rien
qu'en en racontant la genèse, à de futurs lecteurs. Le roman, publié seulement
en France, pourrait être, en ces temps d'embellie, un élément important de cet
"équilibre de la fraternité", évoqué par l'auteur, puisqu'il est
question de sa réédition en Algérie.
Salah AREZKI
(1) Éditions ErickBonnier (2012)
(1) Éditions ErickBonnier (2012)
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