Comment
passer de l'amour à la haine, du soutien idéologique et financier à un état de
guerre, sans le bruit déchirant des gandouras retournées? Comment passer sans
crier gare d'une attitude à son contraire sans ressentir la moindre gêne aux
entournures? C'est humainement improbable, voire impossible, mais les Saoudiens
l'ont fait pourtant, et le ciel ne leur est pas tombé sur la tête. C'est ce qui
aurait du arriver, normalement devant de telles révisions, pour ne pas dire
reniements. Souvenons-nous : quelques jours après l'arrivée du "frère
musulman" égyptien Morsi au pouvoir, les Saoudiens décident de débloquer 4
milliards de dollars en faveur de l'Égypte. Moins d'un an plus tard, juste
après la chute de Morsi, en juillet 2013, l'Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats
s'engagent, pour le nouveau régime, avec une aide de 10 milliards de dollars.
On a tout de suite compris qu'il fallait regarder du côté de Washington pour
chercher la cause, ou les causes, de ce revirement à la
"Frankenstein". Vendredi dernier, le "père spirituel" a
décidé de sévir contre sa progéniture dévoyée, le ministère de l'intérieur
saoudien a publié une liste d'organisations terroristes en tête de laquelle
figure le mouvement des "Frères musulmans".
Cette
liste comprend aussi, et comme attendu, les factions armées guerroyant en
Syrie, en alliés avec Ryadh, à savoir le front "Nosra", et l'EIEIL
(l'État islamique en Irak et au Levant), une branche dissidente d'Al-Qaïda.
Figurent aussi comme terroristes les insurgés zaydites ("Houthis") du
Yémen, durement réprimés en 2004 par l'intervention armée de Ryadh, et le
"Hezbollah" saoudien, sans surprise en queue de liste. Depuis
plusieurs semaines, le royaume wahhabite, en butte à la montée des extrémistes,
nourris de sa propre doctrine et pratiquant la surenchère, émettait de signes de
lassitude, devant l'enlisement de l'insurrection en Syrie. Après avoir pris ses
distances avec le Qatar, son principal associé dans l'aventure syrienne, l'Arabie
saoudite a décidé de mettre fin à la participation de ses citoyens au
"Djihad" en Syrie. En application d'un récent décret punissant de
trois années de prison quiconque irait combattre en Syrie, les autorités ont
donné, ce vendredi, un délai de 15 jours à ceux qui sont déjà engagés là bas
pour qu'ils reviennent.
La
publication de la liste des organisations classées comme terroriste est donc
une véritable déclaration de rupture, et de guerre, de la monarchie aux
mouvances issues de son giron. Principalement visé par la mesure, le mouvement
des "Frères musulmans" d'Égypte a réagi avec une relative modération,
soucieux apparemment de ne rien provoquer d'irréparable. Ses dirigeants
rappellent même que la relation, doctrinaire et privilégiée, entre le mouvement
et l'Arabie saoudite remonte au fondateur historique du royaume. Le mouvement
égyptien rappelle incidemment qu'il a contribué, depuis sa naissance, à
propager un "Islam modéré", aussi modéré que celui qui a conduit
l'Arabie saoudite à se rebiffer. Il semble bien, en effet, que les dirigeants
saoudiens aient désormais en tête de redéfinir leur approche de l'Islam, et de
réviser leur idéologie dominante, en fonction des seuls intérêts du royaume.
"L'Arabie saoudite avant tout" : un slogan qu'ils nous ont emprunté, sans
s'en excuser du reste, au prétexte qu'ils l'avaient ramassé, après que nous
l'ayons imprudemment, et inexplicablement laissé choir.
L'initiative
saoudienne ne va pas améliorer les relations avec le Qatar, place forte des
"Frères musulmans", et autres affidés, mais elle va surtout interpeller
les partis de la même mouvance. Les médias arabes s'arrêtent notamment à
l'avenir des relations avec des partis islamistes au pouvoir dans les pays
musulmans, et en particulier la Tunisie et le Maroc. Dans ce cas précis, la
déclaration saoudienne sans trancher sur la question, laisse entendre qu'elle
pourrait arrêter une attitude, au cas par cas, en fonction des liens que ces
partis pourraient avoir avec l'internationale des "Frères musulmans".
Or, que ce soit en Tunisie, au Maroc, ou
en Algérie, les partis islamistes ont toujours affirmé leur proximité, si ce
n'est leur connivence, avec l'organisation des "Frères musulmans", et
en particulier son fer de lance égyptien.
De
ce côté-là d'ailleurs, le ton est à la jubilation, puisqu'après les dollars
saoudiens, le régime peut se targuer désormais d'une "fatwa" qui
légitime la mise hors-la-loi des "Frères musulmans". Un commentateur
a même eu des accents nassériens en soulignant que l'initiative saoudienne
était le commencement d'un "éveil arabe".
Le
royaume wahhabite donnant le signal d'un "éveil arabe", après avoir
sonné le glas d'un pseudo "éveil de l'Islam", dont on ne connaît que
les turpitudes, voilà qui constituerait une révolution ! Je n'ose imaginer la
perplexité, et les crises de conscience, de nos hommes politiques, de nos
médias, et des nos imams, sommés par Ryadh de substituer désormais la
"Sahwa" nationaliste à l'éveil religieux. Je suppose qu'en matière de
libertés et de droits de l'homme l'éveil arabe devrait produire les mêmes
effets que la "sahwa" wahhabite, en cinquante ans de domination. Mais
n'anticipons, ou plutôt ne rêvons pas : le wahhabisme est si profondément ancré
chez nous qu'il va falloir au moins deux générations pour l'éradiquer (mot
déterré par accident). Notre ministre des affaires religieuses n'a pas tort de
s'inquiéter de la progression du Salafisme, même s'il le met en concurrence
avec le Chiisme, et l'Adventisme, qui sont loin de rivaliser avec lui. M.
Ghollamallah a aussi des raisons personnelles d'en vouloir au fondamentalisme
qui conteste jusqu'à son nom de famille. J'ai lu quelque part, comme une
sommation à changer d'état-civil, au prétexte que son nom patronymique pouvait
constituer une atteinte aux attributs de Dieu.
Enfin,
tout ce remue-ménage politico-religieux, en provenance de la mère batterie saoudienne (celle qui recharge les accus de
nos piétistes invétérés), ne devrait pas nous détourner de la seule vraie
question du moment, celle qui interpelle nos consciences de musulmans : est-il
licite ou illicite d'avoir une roue de secours sur un fauteuil roulant?
A.H.
Lire sur ce lien :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2014/03/10/article.php?sid=161457&cid=8
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