samedi 25 janvier 2014

L'interdiction en prélude à l'annexion

L'interdiction en prélude à l'annexion





Vous connaissez tous certainement l'histoire, vraie ou
inventée, de la maîtresse d'école (fondamentale) qui a demandé
à ses élèves de ramener des bouchons de liège pour des travaux pratiques. Illustration du succès absolu des programmes scolaires mis en place, seule une poignée d'élèves avait réussi à ramener le précieux objet. Ce n'était bien sûr qu'une ruse, «halal», de l'enseignante finaude (et fondamentaliste ?) pour savoir si les parents de ses élèves buvaient du vin ou non. Comme la ruse est toujours de rigueur, l'histoire suggère que des parents, aussi matois que buveurs, se sont abstenus de tomber dans le traquenard tendu par la maîtresse roublarde. Ce qui est remarquable aussi, c'est qu'une fois extirpés de la bouteille, les bouchons deviennent un mystère. J'entends par là qu'ils ne suivent pas la filière habituelle des déchets ménagers, du genre sacs-poubelle éventrés, après un lancer brutal, des étages supérieurs d'un immeuble. Cherchez où vous voudrez, sur le capot de votre voiture, dans la cage d'escalier, voire dans les caniveaux surchargés, vous ne trouverez pas l'ombre d'un bouchon de liège. Pourtant, des quincaillers continuent de vendre des tire-bouchons, même s'ils admettent que ce n'est plus le commerce d'antan. Il y a aussi des quincaillers, aussi susceptibles que religieusement engagés, auxquels il ne faut pas réclamer cet ustensile, si vous ne le voyez pas sur l'étalage.

Et surtout, n'allez pas croire que les crises de désarroi profond, causées par l'infâme tirebouchon, sont l'apanage de ce seul pays. Ceux qui vivaient par et pour le liège devront changer leurs manières de vivre et leurs habitudes alimentaires, comme le promettait jadis un célèbre prêcheur. L'éradication du tire-bouchon n'est plus un pléonasme dans nos contrées, où la foi brutale nous impose de prendre de la bouteille, mais de ne jamais en boire. A force de reculades et de soumissions en chaîne, nous avons fini par nous persuader que nous obéissions à notre propre volonté. Ceux qui brûlaient nos mausolées(1), brisaient nos pierres tombales pour casser notre résistance, étaient eux-mêmes convaincus qu'une volonté supérieure les animait. Il aurait fallu juste qu'ils s'arrêtent un moment pour se demander pourquoi la volonté d'Allah devait obligatoirement transiter par les relais saoudiens ou qataris, mais… ceux qui proclament encore, contre toute évidence, que l'Islam n'a pas de clergé devraient mieux ouvrir leurs yeux. Ils verraient, non pas un clergé, mais une «sainte inquisition » brandissant le drapeau saoudien d'une main, et les pétrodollars qataris de l'autre. Sinon, comment expliquer que des «printemps arabes», supposés nous mener vers la démocratie, donnent systématiquement naissance à des embryons de dictatures islamistes.
 Ce qui nous amène à cet autre Etat théocratique, l'Iran, objet de notre admiration parce qu'il résiste aux Américains (ce qui reste à prouver), et cible de nos haines populaires pour cause de chiisme( 2). Avant de représenter une menace pour le monde, avec sa future bombe atomique, l'Iran constitue un danger certain et immédiat avec le Hezbollah, son arme fatale, fatale pour le Liban, bien entendu. D'abord, il y a cette prétention du Hezbollah à imposer des interdits, comme la consommation et la vente de vins et spiritueux. Au début de ce mois, le dernier commerce qui activait encore au Sud-Liban a été dynamité à l'aube, sans que l'on sache qui est derrière cet acte. En réalité, note Pierre Akl, dans le magazine Transparency, c'est le Hezbollah qui veut contrôler le commerce des alcools, tout comme il contrôle déjà celui du «Keptagon» (une amphétamine du genre qui est connue chez nous sous le nom de «Madame Courage»). Il imite en cela, précise-t-il, les «gardiens de la révolution» iranienne qui interdisent le commerce de l'alcool aux autres, tout en le pratiquant eux-mêmes. Ainsi, tout le monde sait que sur un simple coup de fil à Téhéran, vous pouvez vous faire livrer, à domicile, n'importe quel alcool.

L'auteur rappelle que le Liban n'est pas une République islamique, mais un Etat laïque, au sein duquel cohabitent des citoyens de confessions diverses. Il rappelle que le vin, notamment, fait partie des rituels et des sacrements chrétiens(3). «Le Hezbollah a-t-il donc la prétention de réformer cette religion ?», s'interroge-t-il. «Dans le cas où le Hezbolah voudrait imposer la loi iranienne au Sud-Liban, pourquoi ne demande-t-il pas aux habitants de la région de quitter la nation libanaise, et de se proclamer wilaya de l'Iran ?», suggère Pierre Akl.
 L'interdiction précédant de peu l'annexion, notre confrère ne croyait pas si bien dire : Téhéran a émis la semaine dernière un timbre représentant une carte du Liban, avec les armoiries du Hezbollah, en hommage au mouvement chiite. «C'est un précédent historique, note encore Pierre Akl, pour la première fois un Etat émet un timbre en hommage à un terroriste. Pour la première fois, un Etat édite un timbre qui proclame l'annexion d'un autre Etat distant de 2 000 km sans en référer au peuple de cet Etat. Le Liban serait-il devenu, à notre insu, le 32e Assitan (gouvernorat) de l'Iran?» Le chroniqueur aurait pu aussi ajouter : sans soulever la moindre protestation de ceux qui mènent campagne contre le chiisme, lui attribuant même des faits antérieurs à l'avènement du rite, né de la «Grande Fitna»(4). Mais tant que l'Iran ne touche pas à La Mecque et/ou aux puits de pétrole… 

A. H.


(1) Samedi 12 janvier, les Tunisiens qui «ne sont pas comme nous», ont vu leurs «islamistes modérés», selon Marzouki, incendier le mausolée de Sidi Boussaïd, l'un des grands sanctuaires religieux de Tunisie. Bien entendu, l'Islam wahhabite n'y est pour rien.
(2) En fait, ce ne sont pas quelques cellules chiites activant dans les quartiers populaires qui sont la cause des invectives et des excommunications. Il s'agit simplement d'une campagne fidèlement exécutée par les antennes locales du wahhabisme, la doctrine inculquée à notre jeunesse dès ses premières classes d'école.
(3) Il me faut signaler ce fait : samedi dernier, s'est tenu à l'Institut du monde arabe à Paris un colloque sur les chrétiens de la Méditerranée et la citoyenneté. Je m'étais inscrit par email pour «couvrir» cette manifestation, mais j'ai eu la désagréable surprise d'apprendre, la veille, que j'étais sur la «liste d'attente». Mauvaise gestion de la communication, ou attitude sectaire ? Je préfère m'en tenir à la première hypothèse, sachant que les chrétiens des pays arabes ont plus que jamais besoin de soutiens.
(4) Pour ceux qui croient encore aux sornettes en vigueur, je suggère de se replonger dans la lecture de Ibn Qoteiba, Tabari, et surtout un livre plus récent que n'aiment pas les fondamentalistes : Aïcha et la politique de Saïd Al-Afghani. A télécharger si vous ne les trouvez pas, ce qui est presque certain, en librairie.

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