Du temps du parti unique, nous avions des unions
corporatistes pour chaque métier, et pour chaque activité. Nous avons eu ainsi
dans la presse l'Union de journalistes algériens (U.J.A). Et comme la devise du
F.L.N de l'époque était d'unir pour mieux diviser, un petit malin tapi dans les
rouages du parti, et qui doit y être encore, a décidé que l'U.J.A serait élargie
aux interprètes et traducteurs. Ceci réalisé, on a réfléchi, c'est du moins ainsi
qu'on exprimait l'acte d'élaborer des combinaisons tordues, au moyen de créer
une union plus large encore. Un journaliste qui ne savait pas tenir sa langue
proposa d'adjoindre à l'U.J.A. l'Union des sourds et muets. Dans la foulée, on
évoqua aussi le renfort éventuel des aveugles, qui s'opposèrent avec force à un
tel projet, voyant en lui l'œuvre de dirigeants frappés de cécité précoce.
Nous avons eu aussi l'Union des écrivains algériens, où vous
n'étiez pas obligés de montrer un spécimen d'écriture, pour adhérer. Puis, il y
a eu l'union des peintres, pas ceux du bâtiment, les autres qui peignent des
tableaux, et j'en passe. Bref, tous étaient unis sous l'étendard du FLN, pour
pratiquer la critique constructive en public et l'autocritique en boudoirs. Les
femmes étaient regroupées dans l'Union nationale de femmes algériennes (UNFA),
chargée, entre autres, de faire oublier que l'indépendance c'était aussi grâce
à elles. Ayant ainsi réalisé l'union de toutes les "forces vives", il
fallait se tourner vers l'est pour voir ce qu'il était possible de réaliser,
dans le cadre de la nation arabe.
Nous avons donc eu, dans le cadre du syndicat des potentats
arabes, plus connu sous le nom de "Ligue arabe", des organisations et
des unions où il fallait juste changer le dernier mot du sigle. Certaines
unions arabes sont même devenues des organisations à géométrie variable, et à
forte sensibilité aux changements atmosphériques et aux variations éoliennes. Je
n'en dirais pas plus de cette Union parlementaire arabe, qui est comme chacun
le sait, le vivier de la démocratie triomphante, avec des députés élus par les
peuples et pour les peuples. Qui donc peut se targuer, hors de cette sphère, de
posséder l'union du fer et de l'acier arabes, d'organiser un congrès du
tracteur arabe, etc., etc. Et toutes ces unions, toutes ces organisations
tiennent congrès, en veux-tu en voilà, dans l'un ou l'autre des pays membres,
ce qui permet des voyages et des échanges fructueux.
Avec tout ce beau monde, plus besoin d'aller jusqu'en Chine pour
quérir le savoir, et la connaissance, on vous les amène jusqu'à votre porte, si
vous en avez une bien sûr. Je croyais avoir fait le tour de la question, mais
j'avais oublié la meilleure de l'année, le nec plus ultra de l'événementiel, ce
fameux congrès de l'organisation de la femme arabe (O.F.A). J'avoue que j'ai
suivi d'un œil plus que distrait les péripéties de ce congrès qui s'est tenu la
semaine dernière dans nos murs. J'avais tort, parce que ce congrès était très
instructif pour quiconque voulait se convaincre définitivement que le
changement dans la continuité, ça existe.
D'abord, la première surprise : c'est de savoir qu'une
certaine Madame El-Béchir participait à ce congrès, et qu'elle y avait même
joué les premiers rôles. Cette dame n'est autre que l'épouse du Président Omar
El-Béchir, le chef de l'État soudanais, responsable de la partition de son
pays, entre autres réalisations historiques. Accessoirement, puisqu'il est
assuré de l'impunité et de la sollicitude de ses pairs, Omar El-Béchir est sous
le coup d'un mandat d'arrêt du Tribunal pénal international (T.P.I), pour
crimes contre l'humanité. La condamnation du TPI ne concerne pas la scission du
Soudan, mais la répression au Darfour, là où des observateurs arabes n'ont vu
que colombes et amour du prochain. Pour le plus grand bonheur du tyran
soudanais, la sainte ligue et une partie de l'opinion considèrent que le T.P.I.
est un instrument de l'impérialisme américain. Ses jugements et ses sentences
ne sont acceptables que lorsqu'ils concernent des Serbes qui ont assassiné des musulmans
bosniaques.
S'agissant du sieur El-Béchir, une fatwa l'autorise à
massacrer des animistes, des chrétiens, et mêmes quelques musulmans, au passage,
puisqu'il n'y a rien de tel pour hâter l'avènement de l'État islamique,
infaillible et équitable. J'ignorais aussi que l'O.F.A comptait des femmes
entrepreneurs dans ses rangs, des entrepreneurs qui ont pris pour modèle
Khadidja, la femme du Prophète, comme l'a souligné une participante émiratie. On
peut supposer que la dame en question faisait référence à la Khadidja de
l'époque préislamique, riche veuve qui gérait elle-même ses biens. Or, Khadidja
constituait une exception, dans le système tribal de cette période où les
femmes devenues veuves pouvaient échoir, ainsi que leurs richesses propres, à
l'héritier mâle le plus proche.
La congressiste émiratie avait assurément de bonnes raisons
d'exprimer son refus de recevoir des leçons en matière d'Islam, de la part du
mouvement des "Frères musulmans", ascendant dans le monde arabe.
Selon le journal "Al-Itihad" des émirats, l'Union des Émirats arabes,
et plus largement les pays du Conseil de coopération du Golfe (C.C.G), auraient
de sérieux motifs d'inquiétude au sujet des ambitions islamistes. Dans un
article, d'une rare clarté et visiblement inspiré, le quotidien interpelle
directement le Qatar sur son activisme qui menace désormais ses propres alliés.
"Al-Itihad" estime que le pouvoir au Qatar est partagé entre deux
courants, l'un coopératif et complémentariste (dans le cadre de l'union), et
l'autre, isolationniste et belliciste. Or, c'est ce deuxième courant qui semble
être en train de l'emporter, selon le journal, qui affirme que ce courant agit
en étroite collaboration avec les "Frères musulmans" égyptiens. Et plus
précisément avec leur véritable chef, Khairat Al-Chater, le richissime homme
d'affaires égyptien.
"Al-Itihad" reproche au gouvernement du Qatar
d'avoir ouvert ses coffres, et d'avoir mobilisé sa chaîne
"Al-Djazira", au service de ceux qui s'autorisent ce qu'ils
interdisent aux autres. Qui font de la religion un fonds de commerce, un
mouvement qui complote contre ses frères émiratis, sous couvert de
"printemps arabe". "Est-il normal que le Qatar appuie un
mouvement qui ne considère que sa propre opinion, et estime que seule sa conception
de l'islam, excluant toutes les autres, doit avoir force de loi? Regardez
autour de vous ! Vous reste-t-il encore un ami qui a confiance en vous, ou un
voisin que vos projets rassurent ?", ajoute "Al-Itihad", comme
une injonction à changer de cap. Comme
quoi, il y a des réveils salutaires, même s'ils sont tardifs, et en
soubresauts.
A.H
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