A l'occasion du 8 mars, je n'ai rien trouvé de mieux que ce texte d'une femme qui n'a pas froid aux yeux, qui sont de couleur miel, nous dit-elle. Cette chronique est publiée en arabe et en anglais, sur le site "Free-Arabs", dont voici le lien pour ceux qui veulent la lire en V.O :
http://freearabs.com/index.php/the-independent-woman/160-jb-span-1-jb-span
Célibataire et en bonne santé !
Par Sanaa Elaji
Je m'appelle Ahlem, et peu importe qui est mon
père. Je suis née en 1982, et je suis donc âgée de 30 ans. Je suis d'une
"beauté acceptable", comme le proclament les annonces matrimoniales
de certaines revues arabes en vogue. Brune, comme la majorité des filles de mon
pays, et grande; ce qui me plaît le plus dans mon corps, ce sont mes yeux de
miel. Toutefois, je sais, pour ma part, que c'est ma poitrine opulente qui
attire le plus les autres. Aussi, et depuis que j'ai pris conscience de ce don,
je m'emploie à l'entretenir, et à en user avec une certaine provocation.
Mon problème, c'est que je suis célibataire. Le
dictionnaire de la langue arabe me considère comme "vieille fille", mais
je n'accepte pas ce terme de "vieille fille", c'est une expression
misérable. Je suis une célibataire. Et le célibat pour moi est beaucoup plus
qu'un statut familial, administratif ou légal. C'est ce choix qui te permet de
décréter que ton bonheur ne s'arrête pas nécessairement à un seul être. Je suis
celle qu'on considère comme une mineure à vie, mais qui refuse qu'on exerce sur
elle une quelconque tutelle; sous prétexte qu'elle est née avec un appareil
génital féminin, dans une société qui a peur du corps féminin et qui le
recouvre d'un voile répressif. Je suis la fille de cette canicule qui fait bouillir
instantanément le sang, lorsque ma respiration menace l'honneur de ma famille. Etrange
paradoxe : je suis mineure aux yeux de la société, parce que je suis une femme placée
sous la tutelle de son père, de son frère, ou de son mari. Sauf que je me
retrouve, de façon surprenante, investie de l'honneur de toute la famille.
Je crois en l'amour…Et c'est là, effectivement, qu'est mon vrai problème. Je rêve d'un homme qui me comble d'amour, mais ma mère ne voit pas les choses sous le même angle. Ça ne l'intéresse pas que je sois aujourd'hui une ingénieure en informatique respectée dans une des grandes entreprises économiques de mon pays. Il lui importe peu que mon salaire mensuel soit le quintuple de celui que perçoit mon père, petit fonctionnaire, dans une administration locale. Je reste, à ses yeux, une femme qui a échoué tant qu'un homme ne vient pas frapper à notre porte pour demander ma main à mon père. Ces histoires de mariages, de divorces, et de tromperies, ne suscitent pas la peur chez ma mère, comme elles le font pour moi. Elle estime que les personnes concernées vivent des situations normales, et que moi je n'ai pas de chance, ou alors, je suis victime d'un sortilège. La sorcellerie, c'est notre prescription idéale, celle qui nous permet de ne pas assumer nos responsabilités. Nous ne sommes responsables d'aucune décision, d'aucun évènement, nous sommes simplement ensorcelés…Une coutume sociale qui nous pousse à nous résigner à l'impuissance, lorsqu'il y a des problèmes devant lesquels nous nous sentons désarmés, et sans ressources.
Je crois en l'amour…Et c'est là, effectivement, qu'est mon vrai problème. Je rêve d'un homme qui me comble d'amour, mais ma mère ne voit pas les choses sous le même angle. Ça ne l'intéresse pas que je sois aujourd'hui une ingénieure en informatique respectée dans une des grandes entreprises économiques de mon pays. Il lui importe peu que mon salaire mensuel soit le quintuple de celui que perçoit mon père, petit fonctionnaire, dans une administration locale. Je reste, à ses yeux, une femme qui a échoué tant qu'un homme ne vient pas frapper à notre porte pour demander ma main à mon père. Ces histoires de mariages, de divorces, et de tromperies, ne suscitent pas la peur chez ma mère, comme elles le font pour moi. Elle estime que les personnes concernées vivent des situations normales, et que moi je n'ai pas de chance, ou alors, je suis victime d'un sortilège. La sorcellerie, c'est notre prescription idéale, celle qui nous permet de ne pas assumer nos responsabilités. Nous ne sommes responsables d'aucune décision, d'aucun évènement, nous sommes simplement ensorcelés…Une coutume sociale qui nous pousse à nous résigner à l'impuissance, lorsqu'il y a des problèmes devant lesquels nous nous sentons désarmés, et sans ressources.
Je me souviens, qu'un jour, je suis allée voir ma
mère pour lui dire que j'avais réussi à obtenir la grosse somme d'argent dont
on avait besoin pour régler un problème familial : "j'ai une bonne
nouvelle pour toi, Maman". Elle m'a répondu vivement : "Est-ce qu'il
y a quelqu'un qui vient demander ta main?". Je me suis sentie démoralisée,
à ce moment là. J'avais déployé de grands efforts pour trouver cet argent. Je
me sentais heureuse et euphorique pour ce que j'avais fait, avant de
m'apercevoir que le véritable exploit, aux yeux de ma mère, aurait été de
trouver un mari qui me serve de paravent. Sans même m'en rendre compte, des
flots de larmes ont commencé à couler de mes yeux.
Je n'ai pas trouvé les mots nécessaires pour
expliquer à ma mère qu'il y avait beaucoup de belles choses dans la vie, et que
le mariage n'était pas ce que je pouvais réaliser de mieux. Que je ne fuyais
pas devant l'amour, ni devant le mariage, et que je recherchais un vrai
partenaire, et non pas un homme avec qui je partagerais le lit, les dépenses du
ménage, sans plus, alors que chacun de nous garderait pour lui ses propres
rêves, son univers propre.
Je n'ai pas trouvé les mots, ni le courage,
pour hurler au visage de ma mère que je n'étais pas la pauvresse impuissante
qu'elle imaginait, et que l'important pour moi était d'être heureuse, avec ou
sans mariage. Je n'ai pas trouvé de mots pour lui dire que je recherchais un
homme qui comprenne la langue de Nizar Qabbani, qui sache écouter les
battements de mon cœur, qui comprenne mon silence, qui sache comment me faire
rire, et panser mes blessures, qui respecte mon indépendance. Je ne suis pas
une folle romantique. Je comprends aussi que le mariage ce sont les petites choses
du quotidien, des moments d'abattement, parfois, et beaucoup de temps consacré
à la négociation. Oui, mais je voudrais que tout cela soit assorti d'un brin de
sel, et de la douceur d'aimer. Comment tout expliquer à ma mère? Comment
expliquer tout ça à une femme qui considère le mariage comme un mal nécessaire?
Je me suis tue, par faiblesse et par compassion pour elle…Le soir, je lui ai
donnée l'argent, avec beaucoup d'amertume, parce que la difficulté que j'ai eue
à l'obtenir, ne signifie rien pour ma mère, tant que le prétendant n'est pas
venu frapper à sa porte.
La réalité, c'est que le problème n'est pas
seulement celui de ma mère. Nous sommes une société que les choix, différents, de
ses membres agacent. Tu dois ressembler à tout le monde, et choisir la même
voie. Tout autre choix différent des leurs les irrite. Ils se vengent alors en
t'agaçant avec mille et une questions. Je ne comprends pas pourquoi chaque
personne que je rencontre me pose cette question : "y-a-t-il un prochain
mariage dans l'air ?". Etre une femme en pays de misère arabe, et avoir
dépassé les vingt-cinq ans, sans avoir de partenaire officiel, est une source
d'agacement pour tout le monde…Je crois même que la hantise du mariage chez de
nombreuses femmes est dictée par le désir d'échapper aux questions nombreuses
et indiscrètes.
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