Adel Hammouda |
Dès
la chute de Morsi, l'ancienne éminence grise de Gamal Abdenasser a offert ses
services au nouveau pouvoir. Avec
Moubarek, note encore Adel Hammouda, le même Heykal n'a pas écrit une seule ligne
hostile à son égard, en trente ans, sachant que l'homme était impitoyable, et
craignant sa colère. Une fois Moubarek à terre, Heykal s'est dépêché de publier
un livre dans lequel il relatait les méfaits du "Raïs" déboulonné et
de son entourage. Or, dans son récit farci d'anecdotes que toute la rue
égyptienne connaît, et qui ne ressemble en rien à ce qu'il écrivait naguère,
Heykal (2) a omis quelques détails, affirme encore Adel Hammouda. Il ne dit mot,
notamment, des relations d'affaires qu'entretenaient les deux fils Heykal,
Ahmed et Hassan, avec Djamal Moubarek. Les deux frères sont notamment impliqués
dans la vente frauduleuse d'une banque égyptienne, la "National
Bank", dont le produit aurait atterri, en partie, dans les poches de Djamal
et Ala Moubarek (3). Quant aux deux fils Heykal, ils se sont réfugiés à Londres
pour échapper aux poursuites judiciaires intentées contre eux. Leur père va les
voir régulièrement, là-bas, tout en poursuivant sa diatribe contre la
corruption du régime Moubarek, précise encore notre confrère.
Pourquoi
suis-je venu vous parler de Monsieur Adel Hammouda? Parce que vendredi dernier,
c'était la Saint-Valentin, qui nous revient tous les 14 février, en dépit des
exorcismes et des anathèmes. C'est une fête païenne, occidentale, et donc
étrangère à nos mœurs, selon nos sentinelles de la foi. Avant que la
Saint-Valentin ne soit mise hors-la-loi, les Algériens n'attendaient pas ce
jour pour aimer, pour s'aimer, mais c'était il y a bien longtemps. Bien avant
qu'ils ne soient submergés par la haine d'eux-mêmes, des autres, et que ce
funeste miroir ne renvoie Mr Hyde à la face du Dr Jekyl. Quel rapport avec le
directeur de la revue "Al-Fadjr"? Justement, parce que notre confrère
ne se contente pas d'interpeller les grands, et qu'il célèbre aussi la culture
sur la chaîne satellitaire "Al-Nahar 2". Jeudi dernier, Adel Hammouda
nous a invités à une Saint-Valentin originale, et pleine d'émotion, dans la
maison de Nizar Qabbani, à Alep. Une demeure qui est restée en l'état, telle
que le grand poète l'avait aménagée, et façonnée (4), avec la même tendresse,
et la même inspiration que celles qui guidaient sa main lorsqu'il ciselait ses
poèmes. On a entendu en "voix off" le poète déclamer l'un de ses
poèmes, que l'irakien Kadhem Essaher a mis en musque et chanté,
"Ahibbini" (aime-moi). On a évoqué aussi "Rissala min tahti
alma" (Lettre du fond des eaux), et "qariat alfendjane" (la
liseuse dans le marc de café), immortalisées par Abdelhalim Hafez.
Retour
à la triste réalité : le jour même où l'Égyptien Hammouda célébrait le syrien
Qabbani, un quotidien national, "Echourouk", livrait un autre poète,
et écrivain, algérien celui-là, aux lyncheurs. Avec ce titre en
"oreille", le journal ne pouvait qu'attirer l'attention :"
Boudjedra considère que la violation de la sacralité du ramadhan relève de la
liberté individuelle", avec une photographie, bien sûr, pour éviter une
éventuelle erreur de cible. Le message est clair : puisque Boudjedra estime que
le jeûne est une affaire de liberté individuelle, c'est qu'il porte atteinte à
la sacralité du Ramadhan, même s'il le pratique. Ce qui est frappant dans ce
procédé, c'est la terminologie adoptée, pour qualifier la non-observance du jeûne
rituel. Avant que la bêtise ne prenne possession des lieux, on disait
simplement d'un non jeûneur que c'était
un "Ouakkal Ramadhane", ou un "flafli", et on n'y pensait
plus. Aujourd'hui, le fait de manger ou de boire, et même d'en faire état, est
élevé au rang de crime suprême, d'offense envers Dieu. Ceci, alors même que ce
"jeûne" relève du domaine réservé de la divine providence. J'ai le
souvenir lumineux de cet auguste professeur de "Fiqh", au lycée, rabrouant un élève qui avait dénoncé un
camarade non jeûneur : "tu es jaloux? Fais comme lui!". S'il
revenait, il serait effaré d'apprendre que les tribunaux de l'Inquisition
siègent dans les rédactions des journaux, et que des appels au lynchage de nos
grands écrivains sortent des rotatives. Selon les codes moraux en vigueur, vous
pouvez être corrompu, voleur, assassin, à condition de ne pas "violer la
sacralité du ramadhan". Si en plus, comme dit Brassens : "vous vous
déhanchez comme une demoiselle, et prenez tout à coup des allures de
gazelle", je n'ose penser au sort que ces gens là vous réservent.
A.H.
(1)
"Kharif Heykal" : référence à double détente visant à la fois le
célèbre ouvrage que Heykal a consacré à l'assassinat de Sadate en 1981,
"L'automne de la colère", et à l'âge avancé de l'écrivain, le mot
"Kharif" suggérant aussi que la personne est susceptible de radoter.
(2)
En plus de ses divers talents, Heykal est aussi spécialiste en vins. À la table
d'un richissime égyptien, ami de Moubarek, il raconte avoir vu, bien vu, une
bouteille de "Château-Latour 1949", d'une valeur de 10.000 dollars.
Il s'empresse de dire à son hôte qu'il n'est pas buveur (question de
conjugaison : on a le droit d'avoir bu, mais pas de boire). Moi aussi, réplique
ce dernier.
(3)
On se souvient que les deux fils Moubarek avaient été les principaux animateurs
de la campagne hystérique contre l'Algérie, après le mémorable match de
football opposant les deux pays à Oum-Dorman, au Soudan.
(4)
Saisissant contraste entre l'intérieur de cette maison qui respire l'amour et
la paix, et les images de guerre civile, et de cruauté, qui nous parviennent de
la même ville.
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