"Abi,
Abi", la fillette habillée comme une "Barbie" arabe,
avec voile enguirlandé, interpelle son père comme
on le fait dans
les feuilletons religieux en vogue, avec l'Arabe "Fousha"
de rigueur. La fillette qui ne doit pas avoir plus de cinq ans
insiste en tirant sur un pan de la "dichdacha" de son père,
qui a apparemment de la peine à se doter d'une barbe touffue. "Abi,
Abi" (Papa, Papa), "Echri li sucette" (achète-moi une
sucette). "Echri li sucette", c'est ce qui reste quand on a
tout perdu : les deux premiers mots étant d'usage courant, jusqu'à
preuve du contraire. Le deuxième n'ayant pas encore trouvé sa
traduction dans les feuilletons, cette douceur n'était pas encore
inventée, sauf avis contraire des concordistes, au temps béni où
l'on parlait un "Arabe châtié". Cette réplique enfantine
pourrait résumer à elle seule les tiraillements, et les tentatives
de fuite de la réalité qui caractérisent nos sociétés, qui ne
savent plus distinguer la piété de la pratique, le bien du mal, le
vrai du faux. Une société où la croissance de la pratique,
illustrée par l'affluence dans les mosquées, est inversement
proportionnelle à la décrue de la foi, ou de la piété. Bref, pour
faire court et puisque nous parlons, et vivons, en "R.A.D.P",
sigle qui peut prêter à toutes les interprétations, y compris au
raisonnement par l'absurde : plus il y a de pratiquants, moins il y a
de croyants. Quand la piété est ostentatoire, et se décline en
accoutrements, et en décibels, la vraie foi se fait discrète, ou
fait semblant d'être sensible au discours ambiant. Lorsque vous
traversez un quartier ou une place publique, vous avez l'impression
d'être au milieu d'une troupe de théâtre faisant la promotion de
sa prochaine pièce, à contenu religieux, bien sûr. À l'exception
des jours de match, ou les répliques, et dans une moindre mesure les
locuteurs, changent, vous n'entendez que des propos portant de groupe
en groupe une sainte terreur, ou une ferveur à brûler les planches.
Un vrai marché d'Okaz où dupeurs et dupes font leurs emplettes en
toute conscience et…hypocrisie.
Que
ceci ne vous inquiète pas trop : nous ne sommes pas seuls dans ce
vaste univers de la tartufferie, et de la bondieuserie exacerbée. Le
quotidien saoudien édité à Londres, "Al-Hayat", qu'on ne
peut soupçonner d'anti wahhabisme, s'est inquiété de ce phénomène
dans la société saoudienne. Le titre de l'article "L'addiction
au discours religieux" est tout un programme à lui seul, et il
constitue un indicateur précieux du degré de préoccupation des
autorités du royaume. Partant d'un débat télévisé autour de la
notion de "Djihad", et de ses fondements religieux,
l'auteur Khaled Al-Dakhil s'en prend à la prééminence du discours
religieux, dans tous les cas de figure. "Outre le fait qu'un
discours unique réprime le pluralisme dans la société, écrit-il,
il dynamite aussi les acquis du développement et de l'éducation.
Tout comme il annihile les capacités de la société à s'exprimer
en dehors de ce cadre, ce qui a pour effet de créer une espèce de
dédoublement de la personnalité qui s'enracine dans la société.
Dans l'espace public, tout le monde a recours au discours religieux,
ou tient des propos qui ne heurtent pas ce discours. Cependant que
dans l'espace privé, où la censure est moindre, et où il y a plus
de liberté, le discours change d'orientation, quand il n'est pas en
contradiction avec ce qui se dit sur la place publique".
Tout
ceci pour en arriver à quoi ? Au fait que l'Arabie saoudite est de
plus en plus tiraillée intérieurement par le souci de se conformer
à la ligne dure du Wahhabisme, et l'objectif de préserver ses
intérêts d'État. L'éditorialiste du quotidien "Al-Hayat"
nous dit clairement que le plus grand danger qui guette le royaume
wahhabite est d'être en porte à faux avec l'enseignement religieux
dispensé à ses sujets. "C'est cet enseignement qui conduit à
aiguiser, et à amplifier la contradiction entre les positions, les
calculs politiques et les intérêts de l'État, et un discours
religieux qui ne voit pas les choses sous le même angle. Le discours
inculque des notions comme "les musulmans sont frères, et ils
doivent se soutenir mutuellement". Alors que l'État n'est pas
en mesure, en même temps de mettre en pratique cette recommandation.
Ainsi, la situation en Syrie a accentué cette contradiction, non
seulement dans le cas de l'Arabie saoudite, mais dans celui de tous
les pays arabes", ajoute Khaled Al-Dakhil.
Quant
à l'autre contradiction, celle qui concerne la place d'Israël dans
le discours religieux, et dans les calculs politiques, elle semble
avoir été résolue. Dans un premier temps, une éminente figure de
la monarchie avait envisagé une alliance avec l'État sioniste, pour
faire face au nucléaire iranien. La semaine dernière, c'est une
autre personnalité saoudienne de premier plan, l'Émir Turki
Al-Fayçal, qui a rencontré la sulfureuse Tzipi Livni, en charge du
dossier des négociations avec les Palestiniens. Le quotidien
"Al-Quds" qui publie l'information, citant les médias
israéliens, rapporte que la rencontre a eu lieu en marge de la
conférence sur la sécurité à Munich. Les deux interlocuteurs ont
évoqué le dossier des négociations israélo-palestiniennes, et
l'émir saoudien a fait part de sa satisfaction de voir Tzipi Livni
conduire la délégation israélienne. Il faut sans doute rappeler
que Tzipi Livni, qui a eu d'autres talents, a défrayé la chronique
l'année dernière en révélant qu'elle avait "négocié"
dans une chambre équipée de caméras, avec des leaders
palestiniens. C'était il y a bien longtemps, bien sûr, lorsque
Tzipi était un agent "opérationnel" des services
israéliens. Il est évident aujourd'hui que ses charmes sont devenus
inopérants, non seulement par la force de l'âge, mais encore par la
politique de colonisation de son gouvernement. Le charme est rompu
aussi du côté des banques israéliennes avec leurs homologues des
pays nordiques : "Al-Quds" nous apprend que deux grandes
banques du Danemark, et de la Suède, ont décidé de boycotter trois
établissements bancaires israéliens en raison de leur participation
à la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. De quoi
effacer les caricatures danoises, et raviver le souvenir de ces
banques américaines qui financent la colonisation avec des fonds
arabes, saoudiens en particulier. Au fait, comment dit-on sucette en
arabe littéral ?
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