lundi 25 août 2014

Quelques souvenirs avec l'ami "Djeb"

Hocine Djebrane, doyen de la presse nationale, s'est éteint mercredi 20 août, à Paris, à l'âge de 82 ans. Il a été inhumé mercredi 27 août au Cimetière des Lilas, à Paris, aux côtés de son épouse, décédée il y a 15 ans d'une longue et pénible maladie, qui les avait contraints tous deux à l'exil (*). 


C'est dur de parler d'un homme au passé, et c'est plus dur encore lorsqu'il s'agit de quelqu'un avec qui on a partagé le sel, le pain, et tout ce qui va avec. Alors, comme la série des disparitions me semble devoir s'allonger, à cause des tremblements de terre, et de la rage impuissante, je vais faire autrement.
Le sourire légendaire.
Je vais parler de toi, Hocine, de nous, comme si nous étions simplement là, tous les deux, en train de siroter un thé "beurk", en évoquant le temps où ce n'était pas si "beurk". Notre ami Hadj-Chikh Bouchane vient de me rappeler l'incident cocasse qui t'est arrivé, à la fin des années soixante, lorsque tu as tourné, durant plusieurs minutes autour de la place de l'Étoile à Paris. Ce carrousel de voitures t'entraînant dans une ronde infernale, t'empêchant de t'arrêter ou d'en sortir, préfigurait sans doute le déroulement cahoteux de ta carrière dans la presse. Passons : l'Arc de triomphe, c'était à la belle époque des âpres négociations franco-algériennes que tu couvrais alors pour "El-Moudjahid", le journal où tu as "sévi" le plus longtemps, où tu as même réussi à "redresser des tordus".  On pouvait tout dire de toi, et contre toi le plus souvent, mais il y a une chose qu'on ne t'enlèvera jamais : ton talent, et ton obstination à le partager. Je parle ici d'obstination, parce que je t'ai souvent reproché de t'acharner à faire d'un âne un cheval de course, et pourtant il y en a qui ont démenti tous mes pronostics. Tu as été (apprécie le passé composé Djeb !) sévère, certes, et tu abhorrais, comme aujourd'hui, la suffisance et la médiocrité, le couple le mieux assorti, mais tu faisais l'effort de passer outre. Dans ton sacerdoce de formateur, tu as été à la fois au four et au moulin, puisque tes élèves de l'École de journalisme d'antan t'ont retrouvé encore, à la maquette et au marbre, après l'école, le journal-école.  Tu en as formé des générations, Hocine, même s'il t'arrive parfois de regretter d'avoir mis le pied à l'étrier à certains ingrats, dont tu n'as apprécié que les ruades, sans vouloir dévaloriser la mule du pape. Non content de redonner à la fonction de Secrétaire général de rédaction ses titres de noblesse, tu jouais aussi au redresseur de sens. Je te revois tentant d'apprendre à un "orphelin du verbe", la signification du mot vanité, selon qu'il s'applique à une personne, ou à une chose. Il y a des jours où tu ne faisais pas preuve de la même patience : je me souviens qu'un collègue qui s'était fait traiter d'Iscariote (surnom de Judas), t'avait appelé à la rescousse, et tu lui avais sèchement répondu : "Vas à la doc!". Je suis sûr qu'il n'a jamais suivi ton impérieux conseil, et qu'il est resté dans l'ignorance, jusqu'à ce jour, ou à lecture de ces lignes. Tu savais aussi apprécier la plaisanterie, mais tu ne supportais pas qu'elle s'éternise au détriment de quelqu'un : un jour qu'un rédacteur me demandait la différence entre "raisonner" et "résonner", je lui expliquai au cutter, comme à mon habitude: "c'est bien simple, la cloche raisonne, avec "ai" , et toi tu résonnes avec "e" accent aigu". Mais toi, Hocine, la providence des indigents du vocabulaire, tu t'es empressé de le réveiller, dès que j'ai eu le dos tourné : "attention, Halli s'est moqué de toi!". Tu lui as rendu service, mais tu m'en as fait un "ennemi", pour longtemps. Mais, mises à part quelques escarmouches très naturelles dans les salles de rédaction, nous avons toujours eu des relations sans nuages. La dernière fois que je suis venu te voir dans ta maison de retraite médicalisée, porte de Bagnolet à Paris, j'ai remarqué quelques livres traitant de religion, et dont tu m'avais parlé lors de leur acquisition. Je t'avais dit alors qu'étant donné la somme de tous nos péchés véniels, il n'était pas évident qu'un repentir tardif nous soit profitable, et tu m'avais sorti la formule classique ; "mieux vaut tard que jamais". J'espère que tu seras entendu, là-haut…quand le moment viendra.
A.H
(*) Papier paru dans El-Moudjahid du 24/08/2014 

1 commentaire:

  1. C'est le monde de l'amitié Halli que tu décris si bien, le monde et l'envergure de notre bon vieil Alger, et à travers toi, je peux revivre, des accés qui m'ont été fermés des tranche de vie, auxquelles j'ai vraiment accés maintenant; ce qui est tellement important pour moi.

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