A Jean-Louis Hurst,
né le 18 septembre 1935 à Nancy, mort le 13 mai
2014 à Paris, et inhumé le 16 mai 2014 à Alger.
En haut: Jean-Louis tel qu'on veut s'en rappeler. En bas : l'inhumation au cimetière d'El-Madania |
Je "zappe" souvent l'enterrement des mes ennemis,
mais il aurait été malvenu pour moi de manquer l'inhumation d'un ami de tous
les Algériens, et donc le mien, Jean-Louis Hurst, un aîné, un confrère
talentueux. Nos chemins se sont souvent croisés, mais nous n'avons jamais eu le
temps de nous asseoir pour causer, pour parler du pays, celui dont il avait
rêvé. Nous étions nombreux, pas trop de mon point de vue, ce mercredi 15 mai
2014, pour accompagner J.L Hurst à sa demeure d'éternité, sur cette terre
d'Algérie, dont l'accès lui avait été souvent contesté de son vivant, par des gens
qui ne savaient pas, qui ne savent toujours pas. Il a aimé ce pays d'un amour,
trop longtemps mal récompensé, souvent marqué par l'ingratitude des mémoires
défaillantes. J.L Hurst, le "Frère des frères", comme il aimait à se
présenter, repose désormais sur cette terre d'Algérie, en compagnie de sa
femme, Heike, loin des vicissitudes de la vie, et des revers de fortune, dans
ce petit cimetière où les rancœurs et les désespoirs n'ont pas droit de cité.
A ceux qui ne l'ont pas connu, qui ne l'ont pas lu, je
propose ce texte qu'il a publié, il y a plus d'un quart de siècle, au lendemain
des émeutes d'octobre 1988. Ce texte devrait servir de préface à la future
biographie de Jean Louis Hurst qu'il faudra écrire un jour, car il nous dit
tout de l'homme, et de ses engagements.
ALGERIE, LA REVOLTE CONGENITALE
On s'étonne du silence des "porteur de valises" devant la boucherie d'Alger. On les
somme de parler. Je vous le demande: vers qui voulez-vous que l'on crie ?
Vers l'opinion française ? Aux heures sombres de la guerre d'indépendance, nous n'avons été qu'une poignée
à lui tenir tête. Nous ne l'avons
jamais vraiment réintégrée depuis. Aboyer avec les caniches pour constater que l'Algérie est devenue une dictature du tiers monde comme les autres ?
Nous ne le savons que trop.
Nous l'avons même subi dans notre chair dès le coup d'Etat de 1965. Des officiers
algériens y maniant les électrodes aussi bien que les paras,
comment s'étonner que leurs trouffions aient la gâchette de mitrailleuse
facile par la suite ?
Le glissement a été constant:
du retour au "sérieux" de l'étatisme, mettant fin à l'initiative que l'autogestion laissait
aux travailleurs, au retour à la vérité du marché censée corriger les désastres de la planification bureaucratique. Dans les deux cas, la classe poli tique française a trou vé ce réalisme de bon augure, sans voir que sous Boumediène le peuple n'avait plus le droit de parler et que sous Chadli, il n'avait
plus de quoi bouffer. Mais nos amis algériens
de la première heure, nos compagnons de prison, le voyaient-ils eux-mêmes
? Là est notre vrai drame. Il ne s'étale pas facilement au grand jour.
Ces "frères" ont tous été au pouvoir à un moment ou à un autre. Rares sont ceux qui n'ont
pas changé, préférant l'exil ou la retraite au village pour ne pas se renier. D'autres aussi, peu nombreux,
je le concède, sont devenus les
gardes-chiourme
de leur
peuple. Mais l'énorme majorité, elle, en est devenue complice, laissant acheter son silence par quelques poignées de pétrodollars et se consacrant calmement aux "affaires". Vivant en vase clos, entre Alger
et Paris, c'est à peine si elle remarquait la poussée démographique de son indigénat local.
La jeunesse d'El Harrach et de Bab-El-Oued ne s'y est pas trompée. Bien que s'attaquant peu à la propriété privée, elle n'a pas raté quelques-uns de ses symboles
les plus provocants, parmi
eux la boîte
de nuit des anciens dirigeants de la Fédération
de France du FLN, la boutique de haute couture du responsable de la zone autonome qui tint
tête à l'OAS, le
"Fauchon" d'une héroïne
célèbre de la bataille
d'Alger. Et dire qu'ils s'attristaient entre eux du peu d'intérêt des nouvelles générations
pour les anciens combattants ?
La sauvagerie des émeutes n'a fait que répondre à celle de la nomenklatura. "Sauvage", voilà bien le qualificatif qui revient dans toutes
les analyses de nos nouveaux experts de la réalité algérienne : industrialisation "sauvage", libéralisme
" sauvage", ou, aujourd'hui, répression
"sauvage". Ce pays est-il inapte à
la juste
mesure?
Nous, ses amis, en avons fait aussi la lente
expérience. Derrière le jeu diplomatique de ses dirigeants, l'humour contagieux
de ses intellectuels, l'apparent conformisme de ses ruraux urbanisés,
tout ce qui se cache en Algérie est extrême
: la frustration, la mal
vie, la médiocrité des aspirations. Elles renvoient à une origine
peu commune: le plus terrible des laminages, la plus totale
acculturation qu'un peuple n'ait jamais connus. Cela a duré cent trente-deux ans. Vous en souvenez-vous
?
Le sursaut a été à la mesure du dégât.
On a cru ce peuple exceptionnel par sa ténacité dans la lutte de libération, par sa formidable
disponibilité à l'indépendance. Eh bien, il l'est resté
! Peu de soulèvements dans le tiers monde ont eu des cibles aussi nettement politiques
que celui de ce mois-ci. Mohammed Harbi a raison de le comparer à celui du 8 mai 1945. La jeunesse algérienne s'est dressée contre de "nouveaux colons". C'est congénital. Peu de peuples ont gardé aussi viscéralement le sens de l'injustice, le mépris du mépris,
cette exigence frondeuse de l'égalité entre les citoyens.
Le plus grabataire des "porteurs de valises" y perdrait ses rhumatismes!
Jean-Louis Hurst*
(*) Dit Maurienne,
fondateur du mouvement "Jeune résistance", d'insoumission à la guerre d'Algérie.
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